Chapitre 13
La première chose que vit Thiwwina en pénétrant dans l’enceinte fut un groupe d’une trentaine de gardes gangr’orcs courir vers la porte, mal réveillés, certains encore appliqués à boucler leur ceinture.
« Oulala ça commence fort », lâcha-t-elle – avant de prononcer quelques mots d’incantation.
Une nuée bleutée se forma en avant des orcs. Lorsque la troupe passa dessous, une pluie de glace mi-magique mi-matérielle s’abattit drue sur eux. Leurs jambes devinrent lourdes. Une pellicule d’eau se forma sur leur peau et gela instantanément. Leurs corps s’engourdirent. Le regard bête et douloureux, ils s’arrêtèrent, incapables de réagir.
« C’est qu’ils me mettraient la larme à l’œil », pensa-t-elle ironiquement avec un sourire carnassier. Ses petits doigts de fée s’agitèrent – elle courut vers eux en bondissant et balançant des volées de javelots de glace qui transpercèrent les chairs – les orcs ne lâchèrent que de faibles plaintes. Arrivée au contact, elle s’assura de leur mort en leur incantant à bout portant un cône de givre. Plus rien ne bougea ni n’émit le moindre son – ils étaient littéralement statufiés et fondraient doucement sous le soleil de l’après-midi.
Flingot ne perdit pas de temps. Sitôt la porte passée, il bifurqua à droite et courut vers la grande tour de garde. Arrivé à trente mètres, il vit en sortir plusieurs orcs à l’œil rouge. Ils écopèrent d’une grenade étourdissante suivie d’un chapelet de diverses bombes de tout calibre, que Flingot avec art avait dégoupillées en chaîne d’un seul mouvement alors qu’elles étaient encore en bandoulière, et avaient balancées de même toutes ensemble en détachant la lanière de cuir et en faisant un mouvement de coup de fouet en direction des orcs.
Le nain ricana, hilare, en entendant les explosions assourdissantes suivies d’une pluie de membres et de viscères.
Puis il bondit sur le côté et balança un fumigène à l’intérieur. Des bruits de toux en sortirent – ainsi qu’une nouvelle symphonie en boom majeur.
« Har har harrrr », fit Flingot en s’engouffrant dans la tour. Il dut faire attention à ne pas se laisser déséquilibrer par les quartiers de viande rouge, les mares de sang, les crânes où se voyaient encore quelques morceaux de visages ébahis.
Il roula des yeux satisfaits en voyant les grandes lézardes que ses bombes avaient laissées dans la pierre. « C’est du carton leur truc ! » marmonna-t-il, guilleret, dans sa barbe rousse.
Stropovitch et son groupe s’engouffrèrent et repérèrent les tentes et baraquements qui constituaient leur objectif – toute la partie est du camp. Une vingtaine d’orcs s’étaient réunis et se ruaient sur eux. La plupart n’avaient pu se vêtir que de la moitié de leur armure. Le temps que les guerriers et paladins arrivent au contact, la vague d’ennemis était déjà criblée de flèches et prise dans divers sorts de pluies de feu, affaiblissements, attaques mentales, chaînes d’éclairs, en bref, Stropovitch n’eut plus qu’à égorger ceux qui bougeaient encore.
Le massacre commençait bien.
Mais de fait ces orcs n’avaient fait que se sacrifier pour laisser le temps aux arrières de s’organiser. Le long des baraquements est, achevait de se dresser une barricade faite de tentes abattues, de tronçons de bois et de mobilier rustique. Des soldats armés de lances et d’arcs s’étaient alignés derrière. Le dispositif était mis en place dans le but précis de protéger une nuée de démonistes du Conseil pendant qu’ils décimeraient l’unité d’élite de leurs sorts redoutables.
Stropovitch eut un frisson. Arcân ne l’avait jamais préparé à ce type de bataille.
Ses poings se serrèrent sur les gardes de ses épées.
Il courut comme un fou, sans attendre d’ordre.
La partie supérieure de la forteresse était surélevée par rapport à l’inférieure. Tout était nivelé dans cette dernière exceptée la pente qui menait, donc, au sommet, laquelle pente était contenue entre deux murs de pierre.
Dans la confusion générale, aucun orc n’avait repéré Farôn traverser la cour et gravir le mur ouest. De toute façon, aucun œil même expérimenté n’aurait pu le voir. L’elfe maîtrisait l’art de l’invisibilité non magique. On pouvait y déceler un art de vivre, voire davantage. Farôn avait pour ainsi dire une existence partielle. Il s’éclipsait de la réalité, et n’y revenait que quand il le désirait, devant les personnes qu’il jugeait dignes de le voir.
Un maître assassin n’est fondamentalement plus de ce monde. Il est dans son univers propre. Un univers épuré, serein, où règne la paix de l’âme et la maîtrise totale de soi. Un univers en marge…
… sauf pour ces saletés de clebs.
Farôn, contrarié, avait passé la tête au-dessus du mur à mi-pente. Devant la porte étaient postés deux démonistes, dix soldats mais aussi deux maîtres-chiens avec leurs sales bêtes dotées de leur sale flair. Ils avaient déjà la truffe agitée et l’air soupçonneux, d’ailleurs. Un pas de plus et ils aboieraient, les yeux rivés sur sa position.
L’enceinte autour de la porte ne pouvait être escaladée. La pente était large et nue. Le terrain était découvert. En un mot, la partie était ardue.
Farôn se baissa, dégaina lentement et avec mille précautions son arbalète et – incompréhensiblement – se retourna d’un bond, alors qu’il avait les mains sur l’arme et que ses pieds reposaient uniquement sur des aspérités de la roche. Continuant à se moquer éperdument des contraintes physiques de sa position, il arma tranquillement, dos au mur, son arbalète, puis se retourna d’un nouveau bond souple et silencieux.
Les chiens étaient protégés par des plastrons et des masques de cuir lourd clouté.
Et le cuir, ça suffit rarement contre un carreau d’arbalète bien placé.
Tout en visant, il réfléchit calmement à comment il allait gérer ensuite les quatorze orcs et le chien restant. Rien que de très stimulant, comme problème, à première vue.
Phéoline geignit. Porter une armure de plaques, passe encore. Un bouclier de trois tonnes, pourquoi pas, question d’habitude. Une masse aussi lourde qu’inutile, on n’est plus à ça près. Mais en plus de tout cela, une énorme caisse d’explosifs à transporter, en devant se battre en même temps, « et en ne devant SURTOUT PAS trop secouer l’bazar » – dixit Flingot –, là c’était trop.
Pendant que le reste du corps d’élite investissait la forteresse, elle essayait des arrangements. Bouclier dans le dos, caisse sur l’épaule soutenue par un bras : trop fatigant, faudrait alterner d’épaule en cours de route, perte de temps et d’énergie. Caisse portée devant soi à deux bras : empêchait totalement le maniement des armes. Caisse dans le dos sur le bouclier, maintenue par des bandoulières : bloquait le bouclier, puis fallait les trouver et les attacher, les bandoulières.
Cela dit si elle tenait le bouclier en main gauche, ça restait la meilleure solution.
Mais à force de réfléchir à des questions de transport elle avait oublié les explications – au demeurant très succinctes – de Flingot concernant l’utilisation des explosifs une fois arrivée à destination. Et elle s’en rendit compte avec épouvante.
Elle aperçut du coin de l’œil le nain courir vers la tour de garde. Elle saisit à bout de bras la caisse et courut derrière lui en s’égosillant pour l’appeler – mais le poids de la caisse lui coupa rapidement le souffle – et les jambes.
Elle commença à désespérer.
Mais soudain, son visage fut baigné de félicité céleste : Flingot avait laissé derrière lui, à terre, deux bandoulières tout à l’heure encore lestées de grenades.
Un tel heureux hasard ne pouvait être pure coïncidence : rassurée en son for intérieur par les encouragements et l’aide que lui prodiguait la Lumière pour sa mission, Phéoline entreprit de nouer ces fameuses lanières de cuir aux anses de cette maudite caisse.
Thiwwina vit elle aussi une barricade se dresser, mais à l’ouest – la situation se présentait mal. Cela dit même si les orcs se défendaient de façon symétrique en ne laissant que la place centrale aux Alliés, la composition de leurs forces n’était pas, elle, symétrique. À l’est, là où Stropovitch, loin devant son groupe, avait déjà sauté par-dessus la barrière – exploit inexplicable vu qu’il était revêtu de plaques – et commencé son carnage, il y avait quasiment tous les démonistes de la forteresse, avec, tout au fond contre la muraille est, le bâtiment dédié aux pratiques occultes. À l’ouest, symétriquement, c’était l’armurerie – qui d’ailleurs allait normalement, si Phéoline réussissait sa mission spéciale, bientôt sauter.
Autre avantage, la barricade se dressait entre le surplomb du chef au nord et les écuries au sud. Si Thiwwina et son groupe traversaient les écuries, ils se retrouvaient de l’autre côté de la barrière.
Aussitôt pensé, aussitôt exécuté – en bonne gladiatrice digne de ce nom, Thiwwina ne passait jamais plus d’une seconde à réfléchir. Elle courut vers les écuries sous une pluie de flèches et bondit gracieusement par une petite fenêtre. Son groupe batailla pour atteindre la porte – Flingot lui en avait confié le commandement, et elle n’avait donné qu’une seule consigne : « Suivez-moi et admirez. »
Elle n’avait pas posé le pied à terre à l’intérieur qu’une armée de molosses lui sautait dessus.
Quelques secondes plus tard, son groupe avait atteint la porte des écuries, non sans avoir dû combattre une nuée d’orcs qui voulait les en empêcher. Ils s’apprêtaient à la défoncer, des flèches pleuvant dru sur eux, quand Thiwwina leur ouvrit tranquillement. Elle les introduisit d’une courbette et prit des airs de guide touristique – ils s’engouffrèrent et refermèrent.
« Tout de suite sur votre gausse, vous pouvez admirer l’œuvre Zaillissement du soi, représentant un sien-loup en plein bond. Ze vous laisse noter le réalisme étonnant de la posture et de la mâssoire ouverte sur des crocs menaçants. À côté la célèbre scène de groupe Pique-nique cynique, où trois molosses claquent en même temps leurs mâssoires sur du vide, symbolisant l’inanité inhérente à toute action. Sur votre droite, un autre cef-d’œuvre de sculpture glacée, Promesse d’infini, où un maître-sien, le regard déterminé fixé vers l’horizon, pointe un doigt qui ne désigne rien. La question est : désignait-il quelque sose, ou ne fait-il que le vouloir désespérément ? »
Flingot entreprit de placer d’énormes charges à l’intérieur de la tour. Mais soudain, son corps fut parcouru d’un frémissement surnaturel. Le gémissement de son âme retentit douloureusement dans ses entrailles.
De la magie démoniaque.
Le nain se retourna et leva la tête, de la sueur froide perlant déjà à son front. Un escalier courait le long des murs de la tour. Dix mètres au-dessus de lui, il aperçut un orc au moment où il reculait pour se mettre hors de vue.
Encore plus haut, deux autres têtes apparurent brièvement, incantant en deux mots des sorts d’affliction sur lui.
Flingot bondit se terrer sous l’escalier à son tour. Il lui fallait trouver un plan rapidement. Mais déjà les sorts agissaient. Son âme était torturée. L’angoisse lui étreignait le cœur et le faisait suffoquer. Il tomba à genoux et sentit le froid de la mort lui faire trembler les mains convulsivement.
Des pas résonnèrent dans l’escalier. Le nain décela d’après le bruit trois créatures, dont une minuscule et une lourde.
« Mosh’kal ! » s’écria joyeusement une petite voix grinçante. Flingot sursauta. Un diablotin perché au-dessus de sa cachette lui souriait de toutes ses dents.
Les deux autres passèrent au-dessus de lui et apparurent en bas. Ils le repérèrent immédiatement.
Une succube dénudée passa la langue sur ses lèvres et claqua son fouet.
Un gangregarde massif s’approcha lentement de lui à pas lourds, brandissant une gigantesque hache à deux mains.
Il tremblait de façon impressionnante. De grosses gouttes de sueur sillonnaient son visage pâle comme la mort. Sa vie défila devant ses yeux. Dans son délire, il revit ses parents, la fabrique familiale de bière, ses dizaines de cousins et leurs virées nocturnes, ses frères d’armes de toutes les guerres, ses voyages pour la Ligue des Explorateurs, sa fiancée morte sous l’emprise du Fléau à cinq mois de grossesse. Son premier et dernier amour.
Muhra. La bonté et la douceur incarnées. Celle à qui il avait promis sur son lit de mort.
Qu’il ne mourrait pas avant d’avoir fait sauter les démons de la Légion, qu’il ne mourrait pas avant de les avoir tous renvoyés en charpie dans le Néant distordu.
Il se releva. Les tremblements s’affaiblirent. Le regard s’affermit.
Son nom était Barthum Forpoing, décoré par Magni Barbe-de-Bronze en personne pour avoir sauvé avec ses explosifs une unité de cent combattants à Lordaeron, expert mondial réputé en ingénierie et inventeur reconnu, médaillé dans toutes les compétitions de tir de tout Azéroth depuis cinq ans, membre du groupe spécial d’intervention de l’armée alliée de libération de l’Outreterre, promu lieutenant-commandant pour sa participation décisive à l’établissement des forces alliées de l’autre côté de la Porte.
Le Gangregarde leva sa hache. Flingot lui lança un regard de défi en se fendant d’un rictus.
Aucun mortel, quelle que soit sa race, ne pouvait sauter au-dessus de cette barricade vêtu de plaque.
Mais Stropovitch ne se contrôlait déjà plus. Il avait maîtrisé sa peur de la magie démoniaque en en faisant de la rage. Et plus il s’approchait de l’ennemi, plus l’angoisse augmentait, exponentiellement. Et plus il enrageait.
Le bond était magistral. Il s’envola littéralement au-dessus de la barrière, une expression terrible sur le visage. Les orcs de l’autre côté eurent le pressentiment qu’ils allaient mourir.
Le draeneï leur apporta une confirmation immédiate.
En un éclair cinq archers étaient morts. Le guerrier émit un cri démentiel qui effraya même les démonistes proches. Pendant quelques instants, aucun orc ne l’attaqua. Ils le regardaient, pétrifiés de peur, réduire en charpie tout ce qui lui tombait sous la main.
Le reste du groupe profita de la percée effectuée de l’autre côté pour brûler à grand renfort de magie le morceau de barricade que Stropovitch avait franchi.
Pendant ce temps, le draeneï faisait voler les membres. Ses lames se mouvaient trop vite pour que leur trajectoire soit visible. Ce que les orcs voyaient, c’était un colosse se déplacer à une vitesse ahurissante le long de leurs rangées, et leurs camarades tomber en chaîne comme des files de quilles, diversement étripés et égorgés, ou se tordant de douleur au sol, avec des yeux crevés, des tendons sectionnés, ou des plaies béantes dans le torse et les cuisses.
Des cris fusèrent chez les orcs pour contre-attaquer. Ils commençaient à se ressaisir. Un groupe d’une dizaine de démonistes cibla le météore vivant pendant que les autres accueillaient l’unité d’élite qui avait percé la barricade.
Stropovitch sentit une boule de feu lui picoter le dos à travers l’armure. Il se retourna et avisa divers démons mineurs qui se dirigeaient vers lui. Il courut à leur rencontre. Mais il sentit soudain une gêne. Une gêne générale.
Ses mouvements devenaient pénibles et lents. Sa vue se brouillait légèrement.
Hache parée, lames croisées plongées dans la poitrine du gangregarde. Diablotin tranché en deux d’un coup. Fouet arrêté de la lame droite – il s’enroule –, succube éviscérée de la gauche. Là-bas, leurs maîtres…
Derrière, le fracas assourdissant de la bataille engagée avec l’unité d’élite.
Sa respiration devenait difficile. La magie démoniaque l’oppressait. Les démonistes coururent pour rester à distance du guerrier pendant que leur corruption agissait.
Inutile.
Se faisant violence à un point extrême, il se força à courir pour les rattraper. Ses lames sectionnèrent la nuque d’un fuyard. Les autres se retournèrent en grognant diversement. Ils se mirent à incanter leurs sorts les plus puissants pour l’achever.
Pas aujourd’hui.
Il planta ses lames dans deux bouches en même temps. Les orcs gémirent et s’effondrèrent mollement, pendant que Stropovitch martelait de coups de poing la figure d’un autre. Un quatrième se prit un coup de sabot si puissant dans le ventre qu’il tomba à terre, le souffle coupé, vomissant du sang mêlé de substances indéfinissables.
Mais les sorts des autres arrivèrent à destination.
C’est mon âme que je sens crier en moi. Comme ce jour près de Telrédor. Mon corps m’échappe, mes jambes flageolent, je suis faible et impuissant. Ma volonté fléchit, l’angoisse étreint mon cœur pour l’empêcher de battre.
Un gémissement sortit du corps de Stropovitch. La vie en lui était corrompue et travaillait à sa propre perte. Quoi qu’il fasse désormais, même s’il tuait ses adversaires, il allait mourir.
Les orcs encore debout se mirent à sucer la vie qui lui restait, attendant qu’il tombe. Le guerrier hurla. La sensation était horrible, insoutenable.
Derrière lui l’unité d’élite, encerclée de solides gangr’orcs armés et carapaçonnés, était prise sous des pluies de feu et des dizaines de petites graines de l’enfer qui faisaient imploser les corps.
L’air était chargé de mort et de désespoir.
La lueur des yeux de Stropovitch devint rouge.
Farôn tira. Le carreau d’arbalète atteignit le chien en plein cœur, qui couina à peine sous le choc. Aussitôt l’elfe se retourna d’un bond, se baissa et mit en place un autre carreau, en faisant toujours montre de son équilibre surnaturel.
On ne l’avait pas vu. Le groupe de gardes émit cris et grognements. Le second chien fut envoyé en avant pour trouver sa trace.
Bond, repérage, tir. Second chien éliminé.
Farôn sauta souplement sur la pente, un couteau de lancer dans chaque main. Les orcs se jetèrent sur lui. Puis s’ébahirent. L’elfe avait complètement disparu. Et contre la porte, les deux démonistes s’effondrèrent, avec chacun un couteau enfoncé dans l’œil jusqu’à la cervelle.
Les guerriers scrutèrent fébrilement le sol dans l’espoir vain d’y trouver des traces de pas. Ils épiaient, les nerfs à fleur de peau.
L’un d’eux gémit soudain et tomba, le cou à demi ouvert par derrière.
Les autres eurent peur.
C’est le moment que choisit Farôn pour apparaître. Il tourna silencieusement et rapidement autour de chacun d’eux. Paniqués et surpris, ils firent des mouvements de bras stupides comme pour se débarrasser d’une mouche. Pendant ce temps, des talons, des genoux et des cous prenaient des coups de dague d’une précision chirurgicale.
Il esquiva de justesse une hache qui s’abattait sur lui – laquelle, à la fin de sa trajectoire, acheva un orc gémissant qui tentait de contenir l’hémorragie d’une artère sectionnée au genou droit.
Farôn jeta aux yeux de l’orc combatif une poudre aveuglante. Le guerrier se prit la tête dans les mains en criant, lâchant son arme.
Ils étaient encore bien quatre à être en état de se battre. Avec des armures.
Il entama contre eux une danse qu’ils ne comprirent pas. Ils pensaient le frapper, le toucher, mais ils avaient toujours un temps de retard sur ses mouvements. Lui en revanche planta un couteau dans un œil, envoya un coup de pied dans la face d’un autre, puis sembla se téléporter dans son dos et lui planta sèchement ses dagues dans les deux aisselles, jusqu’à la garde, en fouillant de ses lames la large poitrine. L’orc hurla. Et mourut. Mais quand il tomba, l’elfe n’était plus derrière lui.
Il était déjà derrière le troisième. Il lui ôta le casque d’un geste vif, avant de le décapiter proprement en plantant sa dague dans la nuque et en lui imprimant un mouvement circulaire puissant.
Le dernier s’enfuit en hurlant. Il se prit quelques secondes plus tard un carreau d’arbalète mortel.
Il restait à achever l’aveugle et les estropiés, ce que l’elfe fit avec une certaine répugnance.
Phéoline remarqua que l’écurie ne collait pas tout à fait la muraille. Il y avait une largeur suffisante pour qu’un homme y passe. Elle avait vu Thiwwina et son groupe pénétrer dans l’écurie, mais avait préféré ne pas les suivre. Aussi improbable que cela paraisse, on lui avait donné, à elle, une paladine, une mission requérant de la discrétion.
Elle contourna donc le bâtiment, non sans que la caisse dans son dos frotte entre le mur de l’écurie et la muraille, menaçant de se bloquer à tout instant.
Mais elle passa, au grand soulagement de la paladine. Cela dit, quand elle chercha des yeux la direction de l’armurerie, elle se rendit compte que le mur ouest de l’écurie était littéralement assiégé par des dizaines de gangr’orcs qui attendaient que Thiwwina et son groupe sortent.
Elle eut beau reculer immédiatement hors de vue, un gangr’orc l’avait aperçue du coin de l’œil et alerté ses voisins.
Elle n’avait bien sûr aucune chance contre autant d’ennemis. Elle s’enferma aussitôt en elle-même et pria la Lumière. Aussitôt une douce et lumineuse aura la recouvrit. Une rapide formule, et sa masse, qu’elle venait d’empoigner, fut comme imprégnée d’une lumière chantante et scintillante.
Dans la seconde qui suivit, le mur fut fracassé par une bourrasque de gel : le groupe de l’unité d’élite fit une trouée brutale dans le groupe d’ennemis puis partit de l’autre côté poursuivre le carnage.
Phéoline sortit de nouveau de derrière le bâtiment, et tomba nez à nez avec deux gangr’orcs musculeux qui, parce qu’ils s’étaient dirigés vers elle, avaient échappé à l’ouragan de l’équipe de Thiwwina.
Le sang de la paladine ne fit qu’un tour.
Le premier orc voulut lever sa hache, mais, hébété, ne parvint pas à bouger. Il considéra stupidement son bras immobile, puis releva la tête. Il ne voyait plus rien, baigné dans une lumière aveuglante. Il cligna des yeux pour tenter d’y voir plus distinctement. Mais les formes, les couleurs, les sons, tout se refusait à lui, comme si, profondément endormi, il s’était réveillé sous le soleil de midi.
Il sursauta quand son compagnon s’effondra contre lui. Il eut la vision fugitive de son visage tuméfié ; soudain la vue lui fut rendue.
Il vit la paladine, mais elle ne lui fit plus l’effet d’une faible proie, comme la minute précédente : sous son casque, son regard était celui d’une femme déterminée, assurée de la victoire, dépourvue de peur comme de haine. Impuissant, il leva mollement les bras, trop lentement pour empêcher la masse de Phéoline de s’abattre sur son crâne ; une décharge lumineuse lui irradia le cerveau, faisant hurler de souffrance toutes ses cellules corrompues ; il expira la seconde suivante.
Thiwwina avait fracassé le mur du fond d’un cône de gel et gelé les jambes des dizaines d’orcs derrière. Son groupe et elle les avaient décimé sans faire dans le détail et avaient bifurqué immédiatement à droite.
Les orcs derrière la barricade s’étaient rapidement regroupés. Ce fut un choc frontal.
Thiwwina déchaîna ses pouvoirs. Le froid pinçait les peaux, glaçait la chair, pénétrait les os et les faisait vibrer douloureusement, gelait la moelle. L’ensemble des orcs fut saisi d’une irrésistible vague de froid. Certains tentèrent de trouver dans la mêlée la cause de ce fléau. Mais la responsable était une gnominette minuscule et insaisissable qui bondissait et se faufilait partout en prononçant des sorts meurtriers de sa petite voix flûtée.
Un archer elfe près d’elle soudain laissa échapper un cri étouffé, et porta la main à son cœur, serrant sa poitrine convulsivement. Il tomba à genoux, suffoquant, tendit l’autre main en avant, demandant de l’aide. Thiwwina vit dans ses yeux soudain ternes et voilés la souffrance aigüe et la peur de la mort. Il implosa. Elle sentit quelque chose crier en elle.
L’implosion n’était pas physique mais magique. Le cadavre de l’elfe n’avait pas de blessure visible. C’était son âme qui était morte. Et l’onde produite affectait les âmes des mortels proches.
Une prêtresse humaine implosa ainsi à son tour. Puis un guerrier nain. D’autres personnes autour d’eux s’en trouvèrent soudain hors de combat. Leurs membres ne bougeaient plus. Leur force vitale avait été annihilée.
Et Thiwwina la vit.
La graine.
Une petite, toute petite sphère verdâtre entourée d’une aura de décrépitude. La gnomette la vit au moment où elle pénétrait en elle sans bruit, sans heurt, la condamnant sans cérémonie.
La bataille prenait un tour incertain. Les prêtres et paladins en arrière prièrent la Lumière pour fortifier les âmes. Les orcs profitèrent de cet instant de désarroi dans les rangs alliés pour tenter de prendre l’avantage. Des membres et des têtes volèrent. Le groupe se fit lentement encercler.
Et une pluie de feu entreprit de tous les réduire en cendres.
Thiwwina trouva la force de s’entourer d’une barrière de glace. Ces satanés démonistes se trouvaient quelque part en retrait et étaient en train de les décimer. Et c’était à elle de trouver la solution avant la fin du compte à rebours fatal.
La décharge de plombs fit un large trou béant dans la poitrine du gangregarde et termina sa course dans le crâne de la succube. Le diablotin eut à peine le temps d’abandonner son sourire – on le chopa et lui enfonça une grenade dans la bouche.
« Retour à l’expéditeur har har harrrrrr ! » Flingot bondit au centre et balança le démon en hauteur, là où il avait vu le démoniste perché le plus bas dans l’escalier.
Il y eut un boom suivi d’une pluie de pierres et de sang.
Mais le nain était déjà en train de gravir les marches quatre à quatre. Il put voir le résultat de son lancer : un démoniste orc suant et haletant se tenait l’épaule gauche où ne se trouvait plus de bras. Malgré ses efforts, il ne parvenait pas à arrêter une hémorragie affolante. La moitié gauche de son visage était brûlée. Il regarda le nain sans expression particulière. Il était résigné à la mort.
Flingot rechargea tranquillement son tromblon à côté de lui. Les sorts d’affliction qui l’affectaient tout à l’heure semblaient avoir disparu. Bien qu’affaibli, il affichait un entrain invincible.
Il renvoya le tromblon chargé dans son dos et prit en main le fusil de précision. Il laissa l’orc se vider de son sang et continua de monter mais lentement, marche par marche, sans bruit, dos au mur et se déplaçant latéralement, le fusil braqué légèrement vers le haut sur les marches lui faisant face.
Il s’immobilisa totalement lorsqu’il entendit des voix chuchoter au-dessus de lui. Les deux autres démonistes se concertaient. Pour les avoir en ligne de mire, il fallait atteindre le côté opposé. Le plus silencieusement du monde, il atteignit le coin. Puis se décala millimètre par millimètre, l’œil vissé au viseur.
Une oreille rouge. Une tête d’orc qui parle. Qui s’arrête de parler. Une tête d’orc trouée. Un corps qui chute mollement. Qui bascule dans le vide. Et va s’écraser tout en bas dans un bruit mat.
Pas de trace du dernier. Aucun bruit.
Il veut jouer à chat ? J’ai ce qu’il faut pour les petites souris har har har.
Les démonistes qui aspiraient la vie de Stropovitch sentirent soudain leurs corps brûler de l’intérieur. Ils durent arrêter, la douleur devenant insoutenable.
Les yeux du draeneï flamboyaient d’un rouge démoniaque.
Et soudain il se redressa et cria. Il y eut comme une onde de choc qui renversa ses adversaires, suivie d’une vague de chaleur ardente.
Le cri fut long et bestial.
Les démonistes se relevèrent, abasourdis. Les sorts d’affliction qu’ils tentèrent furent vains. La peur qu’ils voulurent distiller dans son âme n’eut aucun effet.
Alors qu’il était à l’article de la mort tout à l’heure, le draeneï irradiait désormais la vie, et une vie bien plus intense qu’au début. Une vie infernale. Incorruptible. Une vie purifiée et nourrie par le feu.
Il cessa enfin de crier et rabaissa la tête quelques secondes. Le sol vibrait sous lui. Son armure se fonçait sous l’effet de la chaleur.
Soudain il chopa un démoniste à la gorge de la main droite. Il serra, le regard dur. L’orc émit des sons étranglés, la face écarlate, les yeux révulsés. Un craquement, un froissement de chair. Le guerrier lâcha le cadavre.
Il se tourna vers un autre et lui décocha un coup de poing terrible, qui lui explosa littéralement le crâne. Des morceaux de mâchoire et des lambeaux de cervelle allèrent décorer les robes de ses voisins.
Le draeneï alla calmement ramasser ses deux épées toujours fichées dans les bouches de deux cadavres.
À ce moment, les autres orcs, pétrifiés de peur, parvinrent à se retourner et à s’enfuir. Vers le Cercle Occulte, le grand bâtiment en forme de pentagone à l’est du camp.
Stropovitch marcha tranquillement dans leur direction. Les robes des démonistes morts s’enflammèrent sous ses sabots.
Derrière lui, la bataille sur la barricade restait d’une issue incertaine, et extrêmement mortelle. Il y avait déjà plus de morts que de vivants de chaque côté.
Farôn constata qu’il pouvait en effet escalader la porte de l’enceinte interne. Paradoxalement, plus les portes étaient renforcées, plus il les passait facilement. Il y avait toujours des cordes, mécanismes et autres armatures qui constituaient d’excellentes prises.
Il se hissa souplement et jeta un œil de l’autre côté.
Il y avait là une véritable armée. Des dizaines de guerriers et de démonistes d’élite. Ils étaient parfaitement préparés à accueillir – et achever – ce qui resterait de l’unité alliée.
Ils avaient même prévu l’option de l’assassin. Des démonistes patrouillaient autour de la grande hutte du chef accompagnés de leurs traqueurs, des démons mineurs ressemblant vaguement à de gros chiens à courtes pattes avec des antennes sur la tête. Capables de sentir sa présence.
Ils le sous-estimaient.
Farôn sauta de l’autre côté de la porte, parfaitement visible. Deux gardes crièrent aussitôt l’alerte. Tous les orcs tournèrent la tête dans sa direction. Ils ne virent personne.
On fit quadriller la zone par des traqueurs. Ils ne trouvèrent rien.
On s’agita. La garde rapprochée du chef fut renforcée. Toutes les sentinelles ouvrirent l’œil, à l’affût du moindre signe visible d’une présence hostile.
Farôn observait tout cela depuis le toit de chaume de la hutte sur lequel il avait grimpé au nez et à la barbe de tous ces empotés.
Allongé, il fouilla le chaume de ses dagues au niveau de l’arête centrale du toit. Il rencontra du bois, et s’y attaqua pareillement. Il était patient et efficace. De toute façon, c’était très loin d’être solide. Il creusa obliquement de ses lames l’épaisseur du bois par un interstice. Puis se servant d’une dague comme levier au niveau où la planche était fixée, il arracha lentement les énormes clous. Les muscles de ses bras apparurent, fins et dessinés, dans l’effort.
Au bout de longues minutes, il réussit à la soulever suffisamment et à la déplacer sur le côté. Il se faufila silencieusement dans l’ouverture créée. Il était dans la grande salle, à dix mètres du sol. Il se reçut en équilibre souplement sur une poutre.
En contrebas, le chef, un énorme gangr’orc à la robe magnificente – un dignitaire du Conseil manifestement, rien moins – recevait chaque minute des nouvelles du front par des messagers. Faisant barrière autour de lui, des dizaines d’orcs, guerriers et surtout démonistes, s’agitaient en scrutant les deux entrées de la salle. Paradoxalement, c’était justement leur nombre et leur agitation – bruits de pas, de voix, cliquetis d’armures – qui les avaient empêchés d’entendre Farôn arracher à moitié une planche du toit.
Il arma silencieusement son arbalète, en équilibre sur la poutre, dissimulé dans l’ombre.
Phéoline respira. Elle ferma les yeux quelques instants pour reprendre des forces. De la force d’âme, s’entend. Là où d’autres se battaient avec leur force physique, leurs techniques et leurs incantations, Phéoline se battait avec sa détermination, sa concentration et sa foi. Telle était l’essence du Sacré. Donc là où d’autres devaient se reposer et se nourrir entre deux batailles, Phéoline faisait quelques instants la paix dans son âme.
Elle ne se laissa pas distraire une seule seconde par la bataille qui faisait rage non loin de là.
Revigorée, elle réajusta les lanières qui maintenaient la caisse sur son dos, puis se dirigea vers l’armurerie. Elle se débarrassa de deux orcs qui gardaient l’entrée – et ouvrit.
À l’intérieur, en même temps qu’elle entrait, trois énormes guerriers ennemis surgirent d’une trappe du sol. À leur armure et leur stature, on pouvait deviner qu’ils étaient l’élite du camp. Il n’y avait a priori aucune raison qu’ils se trouvent là.
Et maintenant qu’ils l’avaient vue et lui avaient lancé des regards meurtriers, il n’était déjà plus question de rebrousser chemin.
L’affrontement s’annonçait bien plus dangereux que le précédent. Un frisson d’angoisse parcourut l’épiderme de Phéoline. Un frisson bien connu. Celui qu’elle avait connu trop de fois déjà, dans des moments similaires, contre le Fléau ou la Légion, ces moments où tout un régiment sait qu’il va mourir, où chaque soldat pense fugitivement à sa famille, à ses enfants, tremble de tous ses membres et, le poing convulsivement serré sur son arme, ne se pose plus qu’une seule question.
Comment entraîner avec lui un maximum d’ennemis dans la tombe.
Les trois colosses, un peu moins abrutis par le sang démoniaque que leurs congénères, s’approchaient d’elle avec vigilance. Ils ne fonçaient pas aveuglément, ce qui signifiait qu’ils savaient que certains ennemis pouvaient être plus puissants qu’ils ne le paraissaient.
Or Phéoline avait dans le dos une caisse d’explosifs. Elle s’était débarrassée de ses deux adversaires précédents à moindres frais, mais cette fois-ci, il fallait absolument qu’elle dépose la caisse à terre et la préserve des chocs. Comme ces nouveaux ennemis étaient méfiants, elle pouvait peut-être les impressionner suffisamment pour qu’ils lui laissent le temps de se délester de son fardeau.
Elle cria trois formules brèves, avec un air terrible et une voix rendue puissante par l’adrénaline de l’instant. Elle consacra d’un mot le sol sous le regard des orcs, et le sol brilla ! Elle se trouvait au centre d’un grand cercle de terre lumineuse baignée de magie du Sacré.
« Je vous préviens, cria-t-elle d’une voix forte et impérieuse. Si vous approchez, vous recevrez votre Jugement ! »
Elle savait bien qu’ils ne parlaient pas sa langue, mais elle avait voulu paraître crédible, et pour l’instant elle l’était : alors qu’ils étaient trois contre elle, les gangr’orcs hésitaient toujours à attaquer les premiers.
Il fallait réagir vite. Thiwwina se faufila entre les jambes des orcs, en bondissant, esquivant les lames et les mouvements. Tel un feu follet, elle traversa les lignes ennemies, fuyant l’encerclement.
Elle atterrit d’un bond au milieu des démonistes.
Ils n’étaient que cinq. Mais ce nombre suffisait à décimer les rangs de l’unité encerclée. L’un d’eux incantait une nouvelle graine.
« Tut tut tut », fit Thiwwina en verrouillant ses lèvres magiquement.
Les visages des démonistes se tournèrent vers elle.
« Ze m’amusais bien zusqu’à maintenant, mais vous m’avez énervée, dit-elle d’un air sérieux. Toi, tu es une tortue ! »
Un second orc se métamorphosa en tortue. Les trois derniers se mirent aussitôt à la marteler de sorts d’affliction.
Consciente de n’avoir que peu de temps avant l’implosion, elle avait décidé de tout donner. Elle s’entoura d’un bouclier magique qui la protègerait de tous les sorts, mais qui en contrepartie la viderait progressivement de sa propre réserve de magie. Les corruptions des démonistes n’agirent pas sur elle. Elle annula leurs malédictions. Puis elle ferma les yeux.
Des éclairs l’entourèrent. Pas des éclairs naturels. C’était de la puissance magique pure. Les orcs restèrent un instant interdits.
Elle rouvrit les yeux. Ils étaient passés du noisette au bleu clair. Et ils brillaient.
Décrire le massacre qui suivit serait difficile tant il fut rapide. En quelques secondes, les cinq démonistes furent réduits en miettes de glace éparpillées par le vent.
Thiwwina mit un genou à terre, complètement vidée. Mais la partie n’était pas terminée. Elle avait des dizaines d’hommes à sauver. Avant la fin.
Elle se concentra encore, et communiqua directement avec le plan de la magie. Une tornade bleue l’entoura, l’irradiant de magie pure.
Quand elle se redressa, elle inspira profondément. Elle était de nouveau en pleine possession de ses moyens.
Elle se retourna vers les guerriers orcs, qui lui tournaient toujours le dos, n’ayant rien remarqué de la mort des démonistes. En quelques mots une bourrasque de gel s’abattit sur eux, ralentissant leurs mouvements. Délivrée des graines et des pluies de feu, la troupe d’élite mobilisa ses dernières forces pour renverser définitivement le cours de la bataille. Thiwwina maintint la bourrasque jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent une seconde fois.
Elle sentit soudain les tréfonds de son âme trembler. Elle jeta un dernier regard soucieux sur l’affrontement. Elle avait accompli sa mission.
« C’était quand même une belle balade », pensa-t-elle.
Personne ne la vit s’effondrer sans bruit. Il n’y a rien qui ne sache mieux capter l’attention qu’une gnomette exubérante de vie ; mais il n’y a rien de plus discret qu’une gnomette qui meurt.
Flingot continua de gravir lentement les marches, plaqué contre le mur, le fusil braqué progressivement sur chaque portion d’escalier découverte. Il parvint ainsi au sommet. Des sons rauques se faisaient entendre. Une batterie d’orcs incantait des sorts sans interruption.
Le nain comprit immédiatement. Il y avait là-haut un groupe de démonistes qui, en sûreté, exterminait le groupe chargé de la partie est du camp, en contrebas.
Soudain, une énorme boule d’ombre avec ce qui semblait deux yeux – deux tâches de feu sur une excroissance qui tenait lieu de tête – se matérialisa devant lui. « Mash’linnkaroth ! » dit fortement la boule d’une voix caverneuse.
Tous les démonistes se ruèrent dans l’escalier pour tuer l’intrus. Une bonne quinzaine.
« Wouh pétard ! » lâcha Flingot en se délestant fébrilement de grenades de toutes sortes, avant de sauter dans le vide… en déployant sa cape-parachute – qu’il avait lui-même inventée.
Un tonnerre assourdissant d’explosions retentit. Le sommet de la tour s’effondra. Une pluie de pierres s’abattit à l’intérieur, rebondissant sur les marches, détruisant l’escalier.
Alors Flingot tenta une action désespérée.
Il sortit un poignard et trancha net le parachute. Et en tombant, il actionna ses bottes-fusées.
À l’extérieur, orcs comme alliés virent la tour s’effondrer et, à la dernière milliseconde avant de se faire écraser, un nain-missile sortir par la porte en baissant la tête, volant à un mètre du sol. Flingot, absolument hilare, mit le cap sur la bataille de la partie est.
La réserve de carburant prit fin. Le nain se reçut au sol, dégaina son tromblon et le déchargea dans les entrailles d’un guerrier orc. Les plombs le traversèrent et abattirent encore deux orcs derrière. Le sol était jonché de cadavres.
« Allez ! fit Flingot en rechargeant. On a une bataille à gagner les gars ! »
Stropovitch se dirigeait à pas lents vers la grande bâtisse noire. Sur son passage, les tentes prenaient feu, le sable grésillait.
Il avait toujours le plein contrôle de sa conscience. Sa peau n’avait pas changé de couleur. Il ne s’était même pas rendu compte que ses yeux flamboyaient. Il se sentait simplement parfaitement bien.
Il entra.
Dans une grande salle en forme de pentagone, une quarantaine de démonistes était en plein rituel d’invocation.
Non.
Ils invoquaient un démon pour les aider dans la bataille. Dont on pouvait déjà voir se profiler la silhouette dans la pénombre. Une chose énorme. Un monstre d’une quinzaine de mètres de haut, semblable à une femme à la peau sombre, nantie de six bras armés chacun d’une grande épée ; aux yeux flamboyants de colère. Une machine de mort. Une faucheuse d’âmes.
Stropovitch se rua dans le cercle des démonistes. Insensible à leurs sorts par la puissance du feu qui s’éveillait en lui, il les réduisit en charpie. Certains tentèrent de fuir, mais leurs robes et leurs entraînements ne les rendaient pas aptes à semer le draeneï. Il les déchiqueta tous, les débita en fines tranches fumantes, cuites par les lames chauffées à blanc. Deux d’entre eux semblaient être des dignitaires, des démonistes de haut rang. Ceux-là constatèrent calmement l’inefficacité totale de leurs sorts. Ensemble, ils invoquèrent un infernal.
Un gros démon constitué de rocs animés d’un feu jaune. Comme ceux que le guerrier avait aperçus en passant la Porte. Il se précipita sur la chose et planta férocement ses lames dans le roc qui tenait lieu de torse. Il sentait qu’il en avait la force. Les épées pénétrèrent en effet la pierre. Les démonistes en restèrent coi. Le draeneï tenta de les écarter pour briser littéralement le démon. Il s’entendit crier sous l’effort. Ses muscles se bandèrent à l’extrême, faisant apparaître des veines noires sur la peau. L’infernal était parcouru de tremblements, incapable de riposter. Le feu jaune qui liait les rocs entre eux devint rouge. Le déchaînement de Stropovitch faisait pénétrer son feu dans le démon via ses lames. Lequel finit par exploser. Des fragments de roche à demi fondue jonchèrent le sol. Le draeneï prit enfin conscience qu’il manifestait les symptômes. Il s’en étonna, mais n’en fut pas effrayé. Il se sentait trop bien pour s’inquiéter. C’était surprenant que le démon intérieur ait survécu à la mort du draeneï dans l’Exodar et ait échappé à l’inspection de son âme par O’ros ; mais dans la situation actuelle, s’en plaindre ne lui serait jamais venu à l’idée. Il ne ressentait que maîtrise et puissance.
Stropovitch fondit sur les deux démonistes, une épée dans chaque cœur. Leurs robes s’enflammèrent. En mourant, l’un d’eux planta ses yeux dans ceux du guerrier. Et soudain sembla le reconnaître. Ses lèvres tremblèrent. Il s’exalta, et sembla presque heureux.
« Mok graghor an, Ar… Arch… », lâcha-t-il en expirant, un sourire sur les lèvres.
Stropovitch en fut troublé. Mais il sentit une présence derrière lui. Il se retourna.
La faucheuse d’âmes était invoquée. Et le regardait étrangement, comme si elle hésitait.
« Vash’kor Eredar ? » demanda-t-elle d’une voix grave, empreinte de doute.
Le draeneï fut saisi d’une grande colère. Ses yeux lancèrent de longues flammes. Sa peau se recouvrit de veines noires. En un clin d’œil il se trouva aux pieds de la créature, et lui cingla les chevilles de coups d’épées sauvages. Elle poussa un cri terrible et tomba à genoux. Furieuse, elle le cribla de coups à son tour de ses six bras, avec toute la force que peut déployer un démon de quinze mètres de haut. Mais il para tout. La vitesse des mouvements du guerrier était décuplée par la rage. Les chocs des lames étaient si puissants que les sabots de Stropovitch s’enfonçaient dans le sol et que le bâtiment tremblait ; si détonants qu’on les entendit dans l’ensemble de la forteresse. Tous les combattants comprirent que quelque chose qui ne concernait pas les mortels se passait près d’eux.
L’expression du guerrier se durcit. Les veines de ses tempes frémirent. Les muscles de ses cuisses se tendirent. Il cria longuement, et au milieu de deux parades, bondit à la poitrine de la faucheuse et y planta ses lames. Le cri qu’elle poussa fut suraigu et surpuissant. Elle se renversa en arrière. Il prit appui de ses sabots sur le torse incliné, retira ses épées et d’un mouvement vif et précis la décapita.
Farôn tira. Le carreau traversa la tête du chef par l’occiput. La pointe ressortit dans la bouche, par le palais.
Mais il ne tomba pas. Il leva les yeux vers Farôn avec un regard terrible. De la fumée noire se dégageait de son corps. Ce n’était pas vraiment un gangr’orc. C’était un démon.
L’elfe sauta d’un bond sur le toit en évitant de justesse la pluie de flèches qui s’était abattue sur la poutre.
Des dizaines de guerriers et de démonistes sortaient de la hutte pour lui faire la peau. Des échelles furent levées. Farôn sauta du toit et disparut. Mais il savait que ce ne serait que provisoire. Ces fichus démons traqueurs couraient dans tous les sens. Ils finiraient par le trouver.
L’elfe était parfaitement invisible aux yeux des orcs. Accroupi contre un mur, il les regardait tous courir en tous sens en criant des ordres. De toute évidence, cette agitation n’était pas due qu’à sa présence.
En effet, les deux groupes de l’unité d’élite avaient remporté leurs batailles et, sous la direction de Flingot, défoncèrent la porte menant à la hutte du chef. La bataille commença aussitôt, impitoyable, déchaînement final de toute la fureur accumulée des deux côtés. Les troupes d’élite de Kil’sorrau, bien que fraîches, fléchirent rapidement. En deux minutes, des dizaines d’orcs moururent, contre une poignée d’alliés. Mais les démonistes s’organisèrent et commencèrent de plonger les alliés dans des cycles de désespoir et de mort.
Farôn, avec tout l’art d’un maître assassin, fit un pas et se retrouva à vingt mètres de là, dans le dos d’un démoniste. L’enserra doucement de ses bras. L’éviscéra.
Un autre tenta de lui insuffler une peur irrésistible. Son incantation fut interrompue par un vigoureux coup de pied dans la mâchoire. Ses dagues dansèrent dans le groupe de démonistes. Mais inévitablement, il fut corrompu et sa vie fut aspirée hors de son corps. À ce rythme, il mourrait avant d’en avoir tué la moitié.
Il lui fallait retourner dans son univers.
Il disparut aux yeux de tous dans un mouvement de cape, comme s’il partait dans un autre plan de réalité. Il se concentra et fit un pas. Il était derrière les alliés, dans la pente. Il enduisit ses lames de poison frais. Si le problème était les démonistes, il allait s’en occuper personnellement.
Il s’en retourna calmement dans la mêlée, subtilisa la dernière grenade de Flingot et traversa une nouvelle fois les lignes de guerriers orcs comme s’il était un spectre. Il balança la grenade au milieu des démonistes – c’était une aveuglante. Un grand flash de lumière les éblouit tous.
Ce fut à leur tour de connaître la peur. Une pluie de coups de dagues incisifs et précis s’abattit sur eux. Il n’y avait que deux lames, maniées par un seul combattant, mais elles semblaient mille. Il en tomba les trois quarts, égorgés ou éventrés. Le sable s’imbiba de sang. Derrière, l’unité d’élite put enfin briser les lignes ennemies. Et pénétrer dans la hutte.
Laquelle était pleine d’orcs, mais vide de chef. En plein milieu de la salle, une grande trappe était ouverte, un carreau d’arbalète brisé gisant au bord. Il s’était enfui.
La bataille reprit de plus belle.
Phéoline s’abattit au sol, exténuée. Les trois guerriers orcs gisaient au sol, jugés. L’armure et le bouclier cabossés, les muscles douloureusement froissés par les terribles chocs des armes, elle avait survécu. La Lumière ne l’avait toujours pas abandonnée. Mais elle savait que son jour viendrait. Phéoline était humble. Profondément et sincèrement. Elle ne se jugeait jamais assez digne d’être sauvée.
Elle se recueillit encore, longuement. Ses forces revinrent peu à peu. Dehors, le fracas des batailles grondait. Pendant quelques instants, le sol avait même tremblé et un cri suraigu avait retenti. Apparemment quelques forces surnaturelles avaient participé à l’affrontement.
Elle se releva et mit en place les explosifs. Elle était censée au départ faire sauter l’armurerie pour empêcher des orcs encore désarmés et mal réveillés de s’équiper. C’était très largement un échec. Non seulement la bataille avait commencé depuis longtemps, mais elle allait se finir que l’armurerie était toujours debout. Il était devenu parfaitement inutile de la faire sauter. Mais c’était sa mission, et on ne savait jamais. Après tout, ces orcs-là venaient sûrement prendre des armes. Il y avait une trappe au sol, d’où ils étaient sortis. Très vraisemblablement ils venaient du surplomb.
Les mains encore un peu tremblantes, elle fit courir sur le sol des traînées de poudre à partir des trois coins où elle avait placé des explosifs, et les fit se rejoindre à l’extérieur. Il suffisait de mettre le feu à la poudre, et la flamme courrait sur le sable jusqu’aux charges. Enfantin.
Mais Flingot lui avait donné un engin qui était censé produire du feu, et elle ne se rappelait plus comment le faire fonctionner. C’était grossièrement une boule, avec des trous, des boutons, un interrupteur et une grille minuscule. Elle tenta diverses combinaisons. En vain.
Phéoline geignit. Mais pourquoi ce bidule était-il si compliqué alors que sa fonction première était si simple ?
Avec un soupir, elle alla ramasser un morceau de bois du mur déchiqueté de l’écurie, et l’enflammer sur une tente qui brûlait non loin. Elle jeta le brandon sur la poudre et courut se mettre à l’abri.
Flingot avait été généreux sur les charges.
L’explosion non seulement fut assourdissante, explosa l’armurerie en envoyant valdinguer des armes qui fusèrent de partout comme des missiles, mais fit également un cratère dans le sol de douze mètres de rayon.
Phéoline se releva de derrière la pierre où elle s’était abritée. Ses tympans sonnaient encore, mais elle entendit une voix grondante provenir du cratère. Au moment de l’explosion, il y avait quelqu’un dans le tunnel. Elle s’approcha.
Au milieu de cadavres d’orcs à moitié ensevelis, un démon terrifiant sortait de terre en s’ébrouant et en fulminant. Il avait l’allure d’un Érédar, avec des sabots, mais il avait la peau rose, des petites cornes fines et des ailes… Il faisait bien six mètres de haut.
Nathrézim. Un Seigneur de l’effroi. D’un coup d’aile il se rua sur elle, sa bouche déroulant déjà un chapelet de malédictions acérées.
Les yeux de Phéoline s’écarquillèrent sous l’effet du choc qu’avait produit en elle cette vision et le temps se figea dans son esprit. En vingt ans de combats, jamais elle n’avait imaginé telle situation. Seuls des régiments entiers, voire des armées, luttaient contre des Nathrézims.
Les yeux toujours grand ouverts, comme en transe, elle cria un sort d’exorcisme avec une force qu’elle-même ne se connaissait pas.
Ce puissant sort du Sacré, censé renvoyer instantanément les démons dans le Néant, ébranla les entrailles du Seigneur et l’aveugla une seconde. Sous le coup de la tentative de renvoi, il fut interrompu dans son assaut aérien et dut atterrir prématurément, genou à terre. Impensable.
Elle profita de cette seconde de répit pour s’emplir de Lumière, sinon les malédictions que le Nathrézim avaient lancées sur elle l’auraient tuée l’instant suivant. Puis d’un mot elle imprégna sa masse d’une aura scintillante.
Le démon, redressé, la regarda comme on considère un insecte échoué dans un verre de vin : comme un détail très agaçant. Il savait que, face à la mort qui fond sur eux, certains se recroquevillent sur eux-mêmes, pétrifiés par la peur. D’autres, au contraire, dans l’énergie du désespoir, dévoilent pour survivre des capacités insoupçonnées. Manque de chance, cette petite humaine lui opposait de la résistance. Pourquoi ? Elle n’y gagnerait que quelques secondes de vie supplémentaires.
Il balança un coup de sa main griffue à la paladine, qui y opposa son bouclier. Les griffes y creusèrent de profonds sillons. Elle riposta de sa masse dans les jambes du démon. Le coup n’était pas puissant mais il résonna dans tout le corps du Seigneur. Et Phéoline consacra de nouveau le sol. La Lumière assaillait le corps du Nathrézim, repoussant l’Ombre. C’était un déchirement intérieur. Il trouva la force d’envoyer valdinguer la paladine d’un coup de sabot, et voulut prendre son envol, exaspéré de perdre un temps précieux avec cette humaine beaucoup plus combative que prévu.
Mais d’un mot elle l’étourdit et l’aveugla en plein vol. Le Seigneur retomba à terre. La paladine retenta un renvoi. Ses forces s’épuisaient déjà. Il fallait faire vite, et profiter de ce que le démon l’avait sous-estimée.
Les entrailles du Nathrézim furent encore secouées atrocement. Mais il était puissant. Il résistait à la magie de la paladine. Et il était vraiment furieux.
Il fondit sur Phéoline et la martela de coups. Ses griffes réduisirent en charpie le bouclier, creusèrent les plaques de son armure, firent voler son casque, la blessèrent profondément en de multiples endroits. La paladine, dans l’intensité de l’action, ne sentait pas la douleur, mais sentait qu’elle perdait pied. La différence de puissance était nette. Qu’avait-elle bien pu espérer… ?
Alors qu’un ultime coup de griffe allait lui arracher la tête, Phéoline s’entoura d’une bulle d’invincibilité temporaire – l’ultime recours d’un paladin, le sort de la dernière chance – et pria. Toutes ses blessures se refermèrent. Le démon attendait, le regard terrible.
La dernière lanière du torse céda et la cuirasse de Phéoline tomba littéralement en miettes, emportant avec elle les épaulières.
Ses cheveux libérés et sa chemise baignée de sueur valorisaient une féminité qui était d’ordinaire cachée sous une carapace de métal. Son regard bleu voilé de fatigue complétait ce tableau mélancolique.
La paladine détacha le libram enchaîné à sa ceinture. Elle l’ouvrit à la page de la Colère divine, tout en inspirant profondément. C’était un sort réservé aux meilleurs parmi les paladins. Serait-elle capable de le lancer ?
Elle déclama la formule avec énergie et conviction tel un suprême acte de foi. Un météore de Lumière apparut ! Et frappa le Seigneur, le faisant tomber à la renverse. Phéoline, la bulle dissipée, sauta sur le torse du Nathrézim, qui voulut se redresser d’un coup d’aile. Phéoline appliqua la main sur la poitrine du démon et y libéra une décharge de Lumière pure. Le Seigneur hurla, et planta ses griffes dans les flancs de la paladine. Profondément.
Phéoline tomba à genoux sur le vaste torse. Elle n’avait plus assez de forces : elle devait choisir entre achever le démon et se soigner. Mais se soigner ne la sauverait pas.
D’un mot elle exorcisa une dernière fois le Nathrézim. Ce dernier sentit toute la pureté d’âme de la paladine servir de canal à une vague de lumière dévastatrice dans les tréfonds de son âme démoniaque.
Le démon, aveuglé, ne pouvait plus bouger. Les griffes glissèrent hors du torse de Phéoline, libérant un flot de sang. La paladine, lâchant sa masse, les dents rougies par des hoquets sanguinolents, se concentra une dernière fois. Une autre masse se forma dans sa main droite, faite de Lumière pure !
« Marteau… de courroux… »
Elle la balança dans la tête du Nathrézim, projetant définitivement son âme damnée dans le Néant. Le corps du démon s’effaça tel un cauchemar au matin, laissant Phéoline étendue sur un plastron vide.
Ça y est… Cette fois c’est mon tour, camarades…
Sa vue se brouilla, et elle s’endormit d’un sommeil sans rêves, baignant dans la mare de son sang.
Là-haut, les derniers orcs étaient massacrés. La bataille était gagnée.