Une grosse baudroie glissa maladroitement et avec méfiance sur le fond vaseux, jamais elle n’avait vu pareille scène dans sa longue vie de poisson abyssal.
D’autres habitants des profondeurs, curieux mais malgré tout prudents restaient eux aussi à bonne distance des deux étranges créatures, tournoyant lentement autour de l’incongru équipage.
Les lueurs blafardes, fruit de la bioluminescence des multiples créatures des abysses éclairaient faiblement deux personnages.
On pouvait en se concentrant distinguer les contours d’un cheval squelettique. Celui-ci se tenait debout, les sabots légèrement enfoncés dans la vase, parfaitement immobile, et l’air serein malgré l’inadéquation de ce lieu avec sa physiologie équine, bien que plutôt morte-vivante équine au vu de son crâne décharné et de ses orbites vides.
Un homme, décharné lui aussi, se tenait assis en tailleur à quelques pas du cheval, dans une attitude de contemplation.
Il se dégageait de son visage décomposé aux traits grotesques une étonnante forme de sérénité et de bienveillance.
La pression, l’absence d’oxygène et le froid glacial régnant à cette profondeur était impropre à la vie, seuls prospérait ici quelques poissons et mollusques adaptés aux abysses.
Mais revenons à notre grosse baudroie, celle-ci, dans un élan de hardiesse se rapprocha de l’homme et lui mordit le pied gauche.
Les cadavres ne manquaient pas au large des clairières de Tirisfal et ce poisson autrefois carnassier avait tôt fait d’apprécier la facilité d’une vie de charognard.
A sa grande surprise le pied bougea et lui assena un coup précis en pleine mâchoire.
Prise de panique la baudroie s’enfuie à toute vitesse, soulevant un nuage de vase derrière elle et entraînant également dans sa fuite les autres poissons bioluminescents.
Cette petite zone faiblement éclairée à 800 mètres de profondeur, retomba alors dans l’obscurité totale.