Bon, je vais être franc : je me suis auto-trigger en réagissant sur le topic Midnight
, donc plutôt que de continuer le HS, je préfère ouvrir un vrai sujet global ici :
Le problème avec Shadowlands.
Et je ne dis pas ça en mode “c’était nul de A à Z”. Il faut reconnaître que Shadowlands avait des qualités d’écriture : des zones visuellement incroyables, des thématiques fortes (mémoire, oubli, rédemption, sacrifice), une volonté d’explorer un pan de lore jamais vraiment développé. Sur le papier, il y avait de quoi faire rêver.
C’est justement ça qui rend la déception plus forte : au lieu de rester subtils, de suggérer, ou de se contenter de montrer des fragments… ils ont voulu tout expliquer, tout relier, tout rationaliser. Et c’est là qu’ils ont cassé la magie.
- Le royaume de la mort. Avant Shadowlands, c’était un mythe. On en avait des échos par Bwonsamdi, par les Loas, par les val’kyrs, par Helya même… et c’était suffisant. C’était mystérieux, cohérent et surtout ça laissait place à l’imagination. Shadowlands, en voulant mettre tout ça en pleine lumière, a en fait enlevé ce qui faisait la force du concept : le mystère et qu’il est évident que nous, mortels d’Azeroth, sommes dépassés par l’univers et sa cosmologie.
Le Géolier, par exemple aKa la poubelle. On nous l’a sorti comme le grand mastermind derrière absolument tout, de la chute d’Arthas aux manipulations de Sylvanas. Mais ça n’a jamais été préparé, jamais teasé, jamais mentionné par aucun des personnages censés avoir été en contact avec son influence (Ner’zhul, Kil’Jaeden, Arthas…). Résultat : au lieu d’avoir un antagoniste puissant et crédible, on a un deus ex machina collé sur 15 ans de lore. Ça décrédibilise tout ce qui existait avant. Donc tout l’amour que tu avais pour un lore finit forcément par être dénaturé. Déjà que le retcon dans warcraft était présent, là ça la carrément mis à terre. Comment prendre au sérieux des menaces « Azérothiennes » si des entités inconnues en fait manipulent tout au loin ?
Idem avec la magie de la Domination. Le heaume de Ner’zhul, Deuillegivre, tout ça avait une aura terrifiante et mystérieuse. C’était glaçant justement parce qu’on ne comprenait pas tout. Là, on a un retcon complet : ce n’est plus l’œuvre de la Légion et des nathrezim, c’est une “magie de la Domination” sortie de nulle part et liée au Géolier. On passe de reliques uniques et incompréhensibles à un simple sous-système cosmique. Ça perd toute sa puissance symbolique. Encore une fois, un mythe qui s’effondre sous le poids d’explication bancale.
Et puis il y a Sylvanas. On peut aimer ou pas le personnage (et je n’en fais pas partie), mais elle avait de quoi être une antagoniste principale puissante, avec sa propre logique et ses propres alliances. L’écrire comme simple exécutante naïve d’un type enchaîné qui incarne tout ce qu’elle hait (les runes de domination, l’esthétique du Fléau, le cycle qu’elle voulait briser), c’est juste incohérent. On a l’impression qu’on lui a retiré son arc narratif pour le plaquer sur un autre personnage qui n’existait même pas avant. Oui, je suis cru, mais vraiment le virage à 360 degrés de Sylvanas entre Légion & Bfa ne passe pas.
Enfin, le royaume de la mort dans son ensemble : trop complexe, trop vaste, trop structuré. Chaque peuple, chaque culture avait sa vision de l’au-delà (les trolls, les orcs, les humains, les elfes…) et ça suffisait. On pouvait garder ça comme des mythes parallèles, ou comme des fragments d’une réalité plus grande qu’on ne percevrait jamais en entier. Exactement comme le Rêve d’émeraude : on en a des bribes, des incursions, et ça reste fascinant. Mais là, non : on a voulu nous donner la carte complète, avec ses quatre zones, ses mécaniques, ses hiérarchies, son grand patron… et tout mystère s’évapore.
Shadowlands n’a donc pas souffert d’un manque d’écriture, au contraire : c’est une extension ambitieuse, peut-être trop. Mais en voulant rationaliser et réécrire des pans entiers du lore, elle a fini par affaiblir ce qui fonctionnait déjà très bien.
Et ça ne s’arrête pas là, parce que Shadowlands a aussi contribué à un autre problème : celui de la saga cosmique.
Avant, les forces cosmiques (Lumière, Vide, Ordre, Chaos, Vie, Mort) étaient des concepts vagues, presque philosophiques. Elles servaient de toile de fond, d’explication large à certains phénomènes, mais restaient assez ouvertes pour que l’on puisse interpréter, théoriser, rêver. C’était une cosmologie souple, mystérieuse, qui laissait respirer le lore.
Avec Shadowlands, on est entré dans une ère de cartographie cosmique. Tout doit être défini, détaillé, placé sur une roue bien nette avec ses cases et ses représentants. La Mort a son royaume, ses seigneurs, ses institutions, ses hiérarchies. La Domination devient une “école de magie”. Le Vide a ses Seigneurs en attente. La Lumière a ses armées fanatiques. Et au final, au lieu de nourrir l’imaginaire, ça fige et rigidifie un univers qui gagnait à rester un peu flou.
Le problème, c’est que ça retire toute la puissance des mythes. Avant, chaque peuple d’Azeroth avait sa vision du monde, ses croyances : les loa trolls, les ancêtres orcs, la Lumière des humains, Elune des elfes… Et ça cohabitait, parfois en se chevauchant, parfois en se contredisant. Ça donnait de la richesse et de la profondeur. Aujourd’hui, tout doit être expliqué comme des “reflets partiels” d’un système cosmique unique. Résultat : on perd la poésie, l’ambiguïté, et l’impression que chaque culture touche à une vérité différente.
Et pour moi, c’est là que Shadowlands a fait le plus de mal : ce n’est pas seulement l’extension qui a complexifié le royaume des morts, c’est celle qui a ouvert la porte à une lecture “scolaire” du lore, comme si tout devait rentrer dans un grand tableau Excel cosmique. Et franchement, c’est dommage. Parce que ce qui faisait la force de Warcraft, c’était cette part d’inconnu, ce mystère qui planait toujours derrière les batailles, les races et les divinités. Nous, simples mortels, avons des traditions, si elles sont remises en question parce que finalement le royaume de la mort n’est juste qu’un autre monde … je n’ai qu’à demander à un négociant monnayant quelques pièces d’or de me transporter là bas voir mes défunts. La logique n’est absolument pas bonne, en plus d’être agaçante.
Et forcément, ça pose la question des conséquences pour l’avenir du lore. Parce que maintenant que Shadowlands a figé plein de choses, Blizzard doit jongler avec ces bases rigides. Et quelles bases ! :
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D’un côté, on a la saga cosmique qui s’installe : les Seigneurs du Vide, les Titans, la Lumière extrême, les Ombreterres… Tout est sur la table, et on sent bien que Midnight et TLT vont creuser ça encore plus. Mais est-ce qu’ils ont vraiment les moyens narratifs de le faire tenir sans retomber dans les mêmes erreurs que Shadowlands ?
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De l’autre, il y a la nécessité de rester souple. Parce que si chaque extension continue à rajouter une couche rigide à ce tableau cosmique, on se retrouvera vite enfermés. Plus de place pour l’ambiguïté, plus de place pour l’interprétation culturelle. Tout sera expliqué par “c’est un fragment de telle force cosmique”. Et là, on perd ce qui faisait la richesse de Warcraft : l’impression que chaque peuple, chaque race avait une lecture différente du monde.
J’insiste sur ces deux points car sincèrement, Warcraft ne s’est jamais défini par ses réalités cosmiques, mais son univers palpable. Les mythes & légendes du jeu nous ont fait rêver, il faut que ça reste ainsi.
Bizarrement, à l’époque je me souvenais très bien de l’affect qu’avait les gens à l’égard des titans, maintenant, ce n’est rien de plus que des pnj qui vont probablement nous donner des quêtes à TLT.
Et je trouve que c’est là que réside le vrai danger : que le jeu devienne trop scolaire. SL a déjà donné ce sentiment avec ses “quatre zones = quatre fonctions = un grand patron derrière tout”. Si on applique ce schéma à chaque force cosmique (un plan du Vide, un plan de la Lumière, un plan de l’Ordre…), ça risque de rendre l’univers lourd, mécanique, et au final beaucoup moins magique.
Alors bien sûr, on peut espérer que Midnight et TLT reviennent à une narration plus « poétique et fragmentée » : qu’on nous montre des visions du Vide sans nous en donner l’encyclopédie, qu’on explore la Lumière fanatique sans l’expliquer par un “Conseil des Anges” rangé dans une case cosmique. Si Blizzard accepte de laisser planer le doute, de ne pas tout expliquer, on peut retrouver une partie de ce charme perdu. Et je veux bien volontiers que Xal’atath soit une mortelle d’un autre monde qui, par son avidité de la puissance et son désir de vengeance, souhaite refaçonner le cosmos au même titre que sargeras en se procurant le pouvoir de l’âme monde primordiale. La au moins, on reste sur quelque chose de relativement terre à terre. Si je veux voir un Xel’naga, je vais tout simplement sur Starcraft.
Mais si on reste sur la logique de Shadowlands, ça risque de devenir un enchaînement de “révélations” qui n’en sont pas, des grands méchants sortis du chapeau qui annulent rétroactivement 15 ans de lore. Et ça, honnêtement, ce serait le pire héritage que Shadowlands pourrait laisser derrière lui.
Enfin bref, désolé pour le pavé
mais pour moi, Shadowlands restera une extension ambitieuse, qui a tenté des choses. Mais son vrai problème, c’est d’avoir voulu transformer des mythes en règles de grammaire cosmique. Et la suite du jeu dépendra de la manière dont Blizzard choisira de corriger ou d’assumer ce choix.
Donc dites-moi franchement : est-ce que pour vous Shadowlands, c’était une vraie pierre au lore… ou juste un énorme patch de fanfic cosmique qu’on va devoir traîner pendant 10 ans ?
Hâte d’avoir vos avis !