Bonjour.
Alors voilà …
L’autre jour, alors qu’on levait le coude au comptoir de Nufa à la Queue de Wyverne, v’là que Nono, ce bon vieux baroudeur de Tauren qui arpente deçà delà le globe depuis bien quinze ans me lance :
« Ah ciel, mon p’tit Zal, cette fois-ci c’est certain, les carottes sont cuites - la bérézina, la fin des haricots j’te dis. Non décidément tout fout l’camp, rien n’va plus, c’est l’heure de mettre les clefs sous la porte. »
"Ouhla, que j’lui fais avec un air inquiet, doucement Nono, tu m’embrouilles avec tes ronds de jambe - qu’est-ce qui te prends vindieu ? Tes dettes auprès du Cartel te courent après ou bien ?"
« Mais non, coño - non, écoute moi voir … C’est fini, Zalou, tu m’entends ? Fini. Il y a plus un rat dans la baraque et je t’annonce que j’entends bien faire mes valises moi aussi. Ouais mon p’tit, c’est l’heure de ficher le camp. C’est terminé : je raccroche mon fusil. »
"Mais qu’est-ce qui t’prends Nono, que j’lui dis avec des grands yeux, tu veux quand même pas dire que tu vas … arrêter ?"
« Si mon Seigneur, tout à fait - Nono prend sa retraite : les carabistouilles, c’est fini. Ce tauren en a plein le muffle de la vie héroïque. Je laisse ça aux traîne-la-grolle qui zonent encore dans le coin, parce que moi, j’en ai mon compte. »
Et le vieux briscard d’engloutir son pastaga comme s’il consommait d’une traite son mariage avec le Diable. Sur le coup, je rame sec avant de me ratrapper aux branches:
« Et … et la guerre contre la Mort, le grand bonze là, ces empaffés de vampires et tous ces drôles là haut alors ? Qui c’est qui va s’en charger ? Mince, tu nous laisses dans de beaux draps mon vieux ! »
Le vieux me jauge avec un oeil dubitatif en passant ses gros doigts dans le poil épais de sa barbe de forestier.
« Allons, allons mon p’tit, on en a vu d’autres, dis. Nous n’en sommes plus à notre première fin du monde, enfin. Et puis non, non je te dis ! Je suis allé voir par là bas ce qui se tramait, moi, et franchement y’a pas d’quoi flamber. Tu y es allé peut-être, toi, au château Nathria ? »
Piqué au vif, je m’absorbe honteux dans la contemplation de mon fond de chope.
« Bah euh non, j’avais des affaires en suspens en Strangleronce. Pis j’ai été pas mal malade. »
« Voilà - laisse donc parler les honnête gens, alors, canaille, ah fripouille ! On sens bien que tu n’es pas allé courir les près de Bastion pour sauver des hibous et des papillons, toi. Par la Terre Mère, rien que d’y repenser, j’en ai des frissons - des cauchemars, te dis-je ! »
« … sauver des hibous ? Mince, mais c’est possible ça ? »
"Mais puisque je te le dis, créfieu ! Des cochonneries de hibous avec des bras et qui parlent sapristi - ‹ Bonj-hoo-hoo-r Nono › qu’ils m’faisaient, les sales bêtes, avant de m’envoyer cueillir des pâquerettes et passer le balai. Jusque là, qu’jen avais, mais c’était pour sauver le monde, tu comprends ?"
« Zut, faut admettre que ça nous change. »
L’autre fulmine:
« Ah ça … ça ! J’pense bien que ça nous change ! Et encore, ça, c’était le démarrage, la mise en bouche Zal mon garçon - quand j’pense à ce qui a suivi … Ah misère, c’est foutu je te dis, tout est foutu … A peine finie la cueillette aux champignons, voilà qu’ils m’balancent dans le no man’s land local, Maldraxxus. Là, dans le genre gros cratère bien crado on a rarement fait mieux; encore que là, c’était du connu - de la goule, du spectre, de la liche et re de la goule par dessus. Autant dire que j’ai mené ça rondement - mais fichtre, ça m’a coupé les jambes pour la suite. »
« Et bien quoi ? Parle, grands loas, tu me tiens à la gorge, maudit ! »
« Des lutins, Zal’Nash, ils m’ont collé avec des p-tains de lutins. Ils me voletaient autour comme ça. ‹ Nono › qu’ils m’faisaient ‹ Nonooo, tu es notre seul espoir. La forêt meurt de soif, Nono, le mal prend racine - Nono, c’est la fin des haricots ! › Là j’me dis, bon, au moins va y avoir de l’action. ‹ Bon alors, que j’lui fais, il est où votre Roi du Mal que j’aille le plomber le derrière ? › Et l’autre de me répondre : ‹ Plus tard Nono; d’abord va arroser les plantes et cueille moi donc ce nénuphar › »
"Doux Zanza … "
"Là Zalou, j’te jure, j’ai vu rouge. Quinze jours que j’y ai passé dans la ZAD écolo d’Ardenwald - QUINZE JOURS à faire la fête de la fraise et à me coltiner les séminaires sur la chasse responsable, les stages en jardinage de l’extrême avec la colonie de lutins. C’est foutu Zal’Nash, tout est FOUTU; le mal est pas près de gagner, mais les hibous et les lutins nous la font à l’envers. Ah je t’en collerai des fins du monde moi, misérable ! La belle jambe que ça nous fait … "
« Mais … mais alors le type qui vole les âmes; le vieux Thrall et tous les autres zouaves dont on a plus de nouvelles … la fin du monde tel que nous le connaissons … ? »
« De la flûte j’te dis ! Du pipeau ! Y’a pas d’fin du monde, troll de malheur, tout ça c’est de l’esbroufe - on s’est fait rouler par des piafs et des p-tains d’farfadets, tout ça pour qu’on aille leur tondre la pelouse et leur trier les feuilles au paradis ! »
« Ah les canailles ! Ah les beaux drôles ! Vindieu, heureusement on te la fait pas à toi Nono - heureusement que t’es là dis, je m’apprêtais justement à y partir, moi, en Terres de l’ombre. »
« La Terre Mère t’en garde ou t’étouffe, Zal’Nash - t’as peut-être fait tes armes au Nord en prenant la croix contre le Fléau, mais crois bien ce vieux briscard : la chasse au papillon aura ta peau. »
"Ah ils sont forts les s-lauds … "
Un bon moment mon regard s’accroche au vide. Le vieux finit son pastis en silence.
"Mais alors … que je reprends, la vie aventureuse ? La gloire, l’héroïsme ? La course sur les grands chemins."
« J’arrête je te dis; ce vieux tauren pose son chapeau et ses armes. L’aventure, c’est terminé. »
Et ces derniers mots que ponctue le silence de prendre les accents du glas qui annonce la mort des époque, la conclusion des grands chapitres.
« M-rde alors, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? »
Le vieux de me regarder avec des yeux brillants - une première ce soir là - quand il se penche un avant, l’ombre d’un sourire sur le muffle, sa bonne trogne soudain animée par la clareté du feu qui brûle dans l’âtre.
« Et si … et si on ouvrait un bar ? »
Et moi d’être foudroyé par l’immense originalité de cette idée qui naît de toutes les impasses de l’existence pour insuffler le spectre d’un espoir ridicule aux plus démunis.
« Le Lutin flûté ? J’en suis. »
« Ah va mourir, troll de misère ! »