Les Shadowlands c'est de la flûte, je le prouve

Bonjour.

Alors voilà …

L’autre jour, alors qu’on levait le coude au comptoir de Nufa à la Queue de Wyverne, v’là que Nono, ce bon vieux baroudeur de Tauren qui arpente deçà delà le globe depuis bien quinze ans me lance :

« Ah ciel, mon p’tit Zal, cette fois-ci c’est certain, les carottes sont cuites - la bérézina, la fin des haricots j’te dis. Non décidément tout fout l’camp, rien n’va plus, c’est l’heure de mettre les clefs sous la porte. »

"Ouhla, que j’lui fais avec un air inquiet, doucement Nono, tu m’embrouilles avec tes ronds de jambe - qu’est-ce qui te prends vindieu ? Tes dettes auprès du Cartel te courent après ou bien ?"

« Mais non, coño - non, écoute moi voir … C’est fini, Zalou, tu m’entends ? Fini. Il y a plus un rat dans la baraque et je t’annonce que j’entends bien faire mes valises moi aussi. Ouais mon p’tit, c’est l’heure de ficher le camp. C’est terminé : je raccroche mon fusil. »

"Mais qu’est-ce qui t’prends Nono, que j’lui dis avec des grands yeux, tu veux quand même pas dire que tu vas … arrêter ?"

« Si mon Seigneur, tout à fait - Nono prend sa retraite : les carabistouilles, c’est fini. Ce tauren en a plein le muffle de la vie héroïque. Je laisse ça aux traîne-la-grolle qui zonent encore dans le coin, parce que moi, j’en ai mon compte. »

Et le vieux briscard d’engloutir son pastaga comme s’il consommait d’une traite son mariage avec le Diable. Sur le coup, je rame sec avant de me ratrapper aux branches:

« Et … et la guerre contre la Mort, le grand bonze là, ces empaffés de vampires et tous ces drôles là haut alors ? Qui c’est qui va s’en charger ? Mince, tu nous laisses dans de beaux draps mon vieux ! »

Le vieux me jauge avec un oeil dubitatif en passant ses gros doigts dans le poil épais de sa barbe de forestier.

« Allons, allons mon p’tit, on en a vu d’autres, dis. Nous n’en sommes plus à notre première fin du monde, enfin. Et puis non, non je te dis ! Je suis allé voir par là bas ce qui se tramait, moi, et franchement y’a pas d’quoi flamber. Tu y es allé peut-être, toi, au château Nathria ? »

Piqué au vif, je m’absorbe honteux dans la contemplation de mon fond de chope.

« Bah euh non, j’avais des affaires en suspens en Strangleronce. Pis j’ai été pas mal malade. »

« Voilà - laisse donc parler les honnête gens, alors, canaille, ah fripouille ! On sens bien que tu n’es pas allé courir les près de Bastion pour sauver des hibous et des papillons, toi. Par la Terre Mère, rien que d’y repenser, j’en ai des frissons - des cauchemars, te dis-je ! »

« … sauver des hibous ? Mince, mais c’est possible ça ? »

"Mais puisque je te le dis, créfieu ! Des cochonneries de hibous avec des bras et qui parlent sapristi - ‹ Bonj-hoo-hoo-r Nono › qu’ils m’faisaient, les sales bêtes, avant de m’envoyer cueillir des pâquerettes et passer le balai. Jusque là, qu’jen avais, mais c’était pour sauver le monde, tu comprends ?"

« Zut, faut admettre que ça nous change. »

L’autre fulmine:

« Ah ça … ça ! J’pense bien que ça nous change ! Et encore, ça, c’était le démarrage, la mise en bouche Zal mon garçon - quand j’pense à ce qui a suivi … Ah misère, c’est foutu je te dis, tout est foutu … A peine finie la cueillette aux champignons, voilà qu’ils m’balancent dans le no man’s land local, Maldraxxus. Là, dans le genre gros cratère bien crado on a rarement fait mieux; encore que là, c’était du connu - de la goule, du spectre, de la liche et re de la goule par dessus. Autant dire que j’ai mené ça rondement - mais fichtre, ça m’a coupé les jambes pour la suite. »

« Et bien quoi ? Parle, grands loas, tu me tiens à la gorge, maudit ! »

« Des lutins, Zal’Nash, ils m’ont collé avec des p-tains de lutins. Ils me voletaient autour comme ça. ‹ Nono › qu’ils m’faisaient ‹ Nonooo, tu es notre seul espoir. La forêt meurt de soif, Nono, le mal prend racine - Nono, c’est la fin des haricots ! › Là j’me dis, bon, au moins va y avoir de l’action. ‹ Bon alors, que j’lui fais, il est où votre Roi du Mal que j’aille le plomber le derrière ? › Et l’autre de me répondre : ‹ Plus tard Nono; d’abord va arroser les plantes et cueille moi donc ce nénuphar › »

"Doux Zanza … "

"Là Zalou, j’te jure, j’ai vu rouge. Quinze jours que j’y ai passé dans la ZAD écolo d’Ardenwald - QUINZE JOURS à faire la fête de la fraise et à me coltiner les séminaires sur la chasse responsable, les stages en jardinage de l’extrême avec la colonie de lutins. C’est foutu Zal’Nash, tout est FOUTU; le mal est pas près de gagner, mais les hibous et les lutins nous la font à l’envers. Ah je t’en collerai des fins du monde moi, misérable ! La belle jambe que ça nous fait … "

« Mais … mais alors le type qui vole les âmes; le vieux Thrall et tous les autres zouaves dont on a plus de nouvelles … la fin du monde tel que nous le connaissons … ? »

« De la flûte j’te dis ! Du pipeau ! Y’a pas d’fin du monde, troll de malheur, tout ça c’est de l’esbroufe - on s’est fait rouler par des piafs et des p-tains d’farfadets, tout ça pour qu’on aille leur tondre la pelouse et leur trier les feuilles au paradis ! »

« Ah les canailles ! Ah les beaux drôles ! Vindieu, heureusement on te la fait pas à toi Nono - heureusement que t’es là dis, je m’apprêtais justement à y partir, moi, en Terres de l’ombre. »

« La Terre Mère t’en garde ou t’étouffe, Zal’Nash - t’as peut-être fait tes armes au Nord en prenant la croix contre le Fléau, mais crois bien ce vieux briscard : la chasse au papillon aura ta peau. »

"Ah ils sont forts les s-lauds … "

Un bon moment mon regard s’accroche au vide. Le vieux finit son pastis en silence.

"Mais alors … que je reprends, la vie aventureuse ? La gloire, l’héroïsme ? La course sur les grands chemins."

« J’arrête je te dis; ce vieux tauren pose son chapeau et ses armes. L’aventure, c’est terminé. »

Et ces derniers mots que ponctue le silence de prendre les accents du glas qui annonce la mort des époque, la conclusion des grands chapitres.

« M-rde alors, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? »

Le vieux de me regarder avec des yeux brillants - une première ce soir là - quand il se penche un avant, l’ombre d’un sourire sur le muffle, sa bonne trogne soudain animée par la clareté du feu qui brûle dans l’âtre.

« Et si … et si on ouvrait un bar ? »

Et moi d’être foudroyé par l’immense originalité de cette idée qui naît de toutes les impasses de l’existence pour insuffler le spectre d’un espoir ridicule aux plus démunis.

« Le Lutin flûté ? J’en suis. »

« Ah va mourir, troll de misère ! »

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Merci pour cette lecture !

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Merci pour ce grand moment, tu m’as collé le sourire au visage pour la journée là.

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Lecture vraiment sympathique ! Merci ! :+1:

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Drôle, bien écrit et surtout ça change des topics sur les MB, les M+ et autres problème en PVP. Merci bien!

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Mais j’adore! On aurait dit du Audiard aux grandes heures des Tontons Flingueurs et autres grands dialogues! Bravo, c’était juste parfait! Du génie je dirais même!

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Bonjour,

Alors voilà …

Un de ces matins qu’j’traînais mes pompes à La Croisée pour y casser la graine avec le copain Bernard, v’là-t-i’ pas que je tombe sur un de ces zozos d’outremonde comme d’outretemps - un Magh’ar, m’voyez - dont il me semble bien remettre la ganache*. "Ohla Bernard*, que j’lui fais, par où vas tu filocher comme ça ? Tu as un kodo aux trousses ma parole !"

Et le Magh’ar de me tirer une trogne de dix pieds de long.

« Trace ta route, eh traîne-patins, charogne - ah le mauvais plaisant que voilà ! Comme si j’avais tête à m’appeler Bernard, dis. Oui décidément, va-t-en fuyant, zigoto des jungles. J’ai le panard qui me démange, et je ne serais pas fâché de te le coller dans le fondement. Aller va ! »

Ainsi s’en va ce caractériel rejeton de Draenor. Et moi de penser, « Par Hir’eek, la méchante bête que voilà. Mais, foi de Gurubashi, c’était bien le portrait craché de Bernard. Zal mon garçon, méfiance : il y a crabe dans le cocotier. »

Sur ces entrefaites, voici Bernard le vrai qui paraît sur le sentier, son fusil dans une main, un trotteur qu’il traîne dans la poussière tenu dans l’autre. Bon pied, bon œil le Bernard Mâche-les-Os - ils n’en font plus une quizaine, aujourd’hui, d’orcs comme lui. Il a la peau brune des gens de son sang, la crinière touffue des Chanteguerre qu’il a encore noire de suie, le sourire narquois des grands prédateurs et la barbe qui tombe en nattes sur sa large poitrine. Le sosie, donc, du margoulin d’tantôt qui pensait me rosser le derrière.

« Ehla Zalou, qu’il me fait quand il vient me serrer la pince, drôle de grimace que tu m’sers, dis. Quelle mouche t’as piqué ? »

« Eh Aka’Magosh, Bernard - dis voir … tu avais pas deux trois frangins au pays ? »

L’autre se gratte le menton en arquant un sourcil.

« Les deux trois que tu m’as tué à la guerre, tu veux dire ? »

« Oui bon … C’était la guerre, dis - non, à part ceux là j’veux dire. »

« Ah bah du coup, non. »

« Mince Bernard, mais je viens de croiser ton pareil - et autant dire qu’il valait bien ta grande gueule. Le même je te dis : le bronzage, la tronche, la touffe. »

« Dis voir Zalou, t’es pas sorti de ta jungle depuis perpette, vrai ? »

« Eh ! Qu’est-ce que tu m’chantes là, Beber ; on prenait la boisson chez Nono pas plus tard qu’avant hier, même que t’en étais, dis. »

« Mais par les ancêtres, Zalou, tu vas quand même pas me dire que tu n’t’en rends compte que maintenant ? »

« Eh bien ? »

« Mais Zal’Nash, on est tous pareils ! Il y a pas un pélo dans la zone qui ait ganache d’étranger. Deux trois, frangins ! Ah le gredin ! Ah la fripouille - regarde un peu … »

D’un geste il me désigne du doigt les clampins alentours qui vaquent à leurs diverses occupations.

« Le Tauren là, le tout blanc - tu lui tords la corne de droite, tu lui peignes la barbiche et tu lui mets un caractère de cochon, et v’la Nono tout craché. »

« Non tout de même … »

"Le MÊME j’te dis. Tiens et là : l’orc, là. Patoche qu’on l’appelle. Regarde un peu, vert comme pas deux et pourtant … Mon reflet dans une flaque d’eau saumâtre. Ouais j’te vois venir : les tatouages, tatata … Bah ! Tu parles - on dirait moi en plus zèbre. Pis les deux elfettes là, la blonde et la rousse - et autant te dire que j’les connais bien celles là, tu connais ton copain Bernard - deux jumelles qu’on dirait ! Mais non mon bon Sire, peau de z-ob, rien, nada - pas une goutte du même sang dans leurs veines, mais les même tronches pâles de cremières et les yeux si vert moutarde qu’on y retrouve Patoche.

Moi de blêmir devant la force du propos, le coeur en détresse :

« Mais c’est tout de même pas possible ! Ce sont des exceptions, des cas à part - tu te joues de moi Bernard, nulle autre option probable ! »

« Tiens mate un peu les deux macchabées qui gambergent là; un chevelu, un bonze - mais les deux grouillent tout pareil de vers et ils ont la tronche de traviole. Tic et Tac, qu’on les appelle ici - Tic a l’oeil qui part à droite, Tac louche vers la gauche. Quand le premier dit m-rde, le second dit fleur. Pourtant il y a pas un pet : à vue d’oeil, c’est la même charogne. Aussi indissociables que Ronron et Patapon. Symétriques que j’te dis: si seulement c’étaient les seuls. »

« Mettons ! C’est un style, par chez nous - ah, nous autres qui vivons à la dure, on a pas bien le temps de se centrer sur soi pour se distinguer … Mais chez les autres là, tout d’or et d’Azur, qui glandent dans la ronflante Elwyn ? »

« Ah, mais c’est bien pareil mon pauvre vieux. Se distinguer - peste, elle est bonne celle là ! Il y a la gnomaille à couettes et la gnomaille à moustache; tu montes d’un étage, t’as du barbu ou du très barbu, tous des rince-pintes de A à Z et deux équipes: les crémiers - encore ! - ou les charbonniers; hop, tu passes à l’étage suivant … là ça devient marrant et t’as trois équipes: les nains n’ont qu’à bien se tenir. Trois équipes donc : crémier, charbon, citronnade. Pourtant c’est bien les même, de la canaille, du gredin, de l’aigrefin et de la fripouille d’un même sang. Il y a pas un pli: il n’y a qu’un genre d’homme entre les bons cieux et la terre d’Azeroth, il a de grandes paluches - on dirait des pieds - et ne taille sa moustache que de quatre manières. Je passe à la suite où tu saisis le tableau ? »

« Eh ça va, ça va, de grâce ! De toute façon, moi je les confonds tous - l’Alliance, c’est surtout une nuance de tailles. »

"Le reste c’est bien simple de toute façon : des clébard à poil court et à poil long avec ou sans conjonctivite, des cornus et des très cornus - les pauvres ! - de l’elfe camouflage mousse des bois ou camouflage tarte aux myrtilles … Bref ! Moralité : on a l’air bien fins, tous, à paraître tous cousins. On s’est bien foutu d’nous, ça je te le garantis, quand on nous a produits comme ça. ‹ Ils seront comme frères et sœurs › qu’ils disaient là-haut en nous retouchant la bouille ‹ et ça sera bien marrant de les voir compter fleurette; ça sera aussi dégueulasse, du coup, mais tant pis pour eux › … Ah les charognes …"

" … faut admettre. Maintenant que tu l’dis, c’est pourtant bien vrai que vous avez pas trois ganaches dissemblables, vous autres."

« Ohla ohla mon prince, arrêtez un peu votre char ! Comment ça « vous autres » ? »

« Eh quoi ! Nous autres trolls, nous sommes bien distincts dis; même que nous fîmes force guerres en conséquence - regarde un peu: trolls des jungles, comme moi, avec cette belle couleur mi-bleu mi-mousse qu’arbore ma fourrure; les trolls tanarides, bien distincts qui euh … ont fourrure fort sablonneuse et bien plus encore ! Et nos frères des forêts, dis - moins secs et bien verts qu-… »

« Minute mon bel oiseau, tu vas pas me la faire à moi, dis - tu ne vas quand même pas me faire avaler que tes cousins avec la jaunisse se distinguent beaucoup de vos tronches de fougères. Regarde c’lui là, là bas - il y a pas un pet, il a ta sale tronche de cannibale réformé si ce n’est qu’il a les ratiches qui pointent vers le Sud quand les tiennes montrent le Nord. »

« Eh, oh ! Dis donc ! Le calembour que voilà, ma crapule : tu ne la vois pas la différence ? Regarde le ce scélérat, ah le mains-dans-les-poches, ah le satané: il est plus glabre que ta fesse droite, ce qui est d’ailleurs fort étrange. »

Bernard de me jauger en plissant le front.

« Eh Zalou … qu’est-ce que tu me fredonnes là … ? »

« Ah, tu vois ! C’est pourtant vrai ! »

« Zal’Nash, fiston … tu n’as pas de barbe, mon pauv’ vieux. »

« De ? … Mais … si ! Si ! J’ai une barbe, môssieur Bernard ! Tout à fait ! Même que je l’ai bien drue ! J’AI UNE BARBE ! »

« Ah commence pas hein … Pas un troll n’a le moindre poil au menton, Zalou … C’est pourtant pas nouveau d’hier »

"ET VOL’JIN ? m’insurge-je Il en avait pas, de poils au menton peut-être ?"

Et Bernard de secouer doucement la tête dans un soupir, sceptique de ma différence laquelle est pourtant certaine ! J’ai une barbe, foi de Gurubashi ! Elle existe, par Zul’Jin ! ELLE EXISTE !

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Je proteste, je suis moi-même un acteur économ- un allié de Sylvarden et non, nous sommes dans une société fortement hiérarchisée où si la patronne te dit « ce bébé doit mourir, et tu dois être celui qui l’étouffe » on la regarde dans les yeux et on dit… rien, on le fait.
Je ne parlerai pas des grands de ce lieu comme lady Moonberry qui a pour blague d’exterminer des races entières pour rigoler ? Où encore les soirées au théâtre où le public juge avec hauteur les différentes fins du monde d’Azeroth pour s’amuser ?
Ce nono s’est trompé dans son choix, aller avec le Bastion, mais quelle erreur, entrer dans une faction qui se déchire d’entrée de jeu, avec des membres qui n’hésitent pas à t’attraper la gorge pour voler ! Heureusement que nous autres vulpérins avons un traitement de faveur, ces emplumés nous attrapent par le museau.

Il faut que ce cher Nono se remette à jour et joigne la bonne faction.
Concernant sa dette au cartel, j’offre moi-même un remboursement à des taux battant toute concurrence.

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Bonjour,

C’était hier soir, au quai de Cabestan …

Nono et Bernard étaient partis à la pêche aux langoustes qui - les bons croquants le savent - existent en force nombre dans les eaux locales. Philou était de boisson: croyez toujours un macchabée pour vous dégoter un bon vin car l’un et l’autre ont en commun de flairer la poussière, et quand ce n’est pas l’homme qui vient à la bouteille, la bouteille vient à l’homme pour vieillir entre ses pattes. Zal était de veille: il gardait sagement la table où s’épandait un hallucinant bordel tout d’os de piafs, de fétiches et de totems à travers lequel notre bonne vieille cartomancienne fouillait mystiquement du bout de son schlass. Et puis moi … eh bien moi, j’étais au comptoir.

L’était question de se retrouver à huit heure moins la demie pour fêter je ne sais plus trop quoi - comme s’il fallait une bonne raison pour se mettre la tête à l’envers avec ces loustics - ou je ne sais plus trop qui. "Eh, Coco, qu’ils me disaient, va pas te remplir le cornet sans les copains, dis - on sera à l’heure avec Nono, alors pas touche au picrate d’ici là, vu ?". Les voyous, s’ils savaient ! Coco peut bien attendre mais l’heure commençait à tourner - alors j’ai demandé un p’tit rouge à Jim-Jim.

Coco c’est moi. Je ne sais pas pourquoi, dans cette bande on se retrouve tous affublés de surnoms qui sentent la boucane et les parties de cartes au tripot. Remarquez, c’est vrai qu’on joue pas mal aux cartes - pis on on boit bien un p’tit coup d’temps en temps, on est pas des bêtes. Jim-Jim me sert le rouquin de Cabestan, le p’tit sucre comme on l’appelle, et v’là que mon muffle, et mon palais, et ma bonne vieille langue bovine se régalent. "Ah Jim-Jim, que j’lui fais, t’es un artiste toi - vous, mon bon seigneur, vous savez leur compter fleurette, aux vieux baroudeurs."

Jim-Jim est de Lune d’Argent. Il a, paraît-il, quelques gouttes de sang bleu dans les veines et un peu d’oseille dans la famille, mais v’là belle lurette qu’il a tout plaqué pour rincer les pintes et servir le raisin de table à Cabestan. Un bon gars, en somme. Faut admettre, à l’époque, quand ils nous ont bricolé un pacte avec les Elfes de là-haut, j’étais pas chaud. « Mais regardez moi ces crémières, que j’disais, on dirait des linges ! On va quand même pas se rabibocher avec ça ? Et ne parlons pas du mélange : des Orcs, des Trolls, des Taurens, des crevés et des Elfes ? Drôle de ratatouille ! ». "Ohla eh, Coco, qu’m’avait fait Nono, tout doux mon beau; c’est pour la guerre, tu comprends ? Et crémières ou pas, ils ont une bonne dent, voire deux, contre l’Alliance dis."

Un bon bail plus tard, faut bien admettre que les Elfes, bon, c’est pas magique dans la ratatouille, mais autrement, c’est plutôt commode à avoir sous la main. Déjà, ils servent un excellent pinard. Certes, le craquant vous trouve le bon vin, mais vous voulez sans doute un gars un peu plus vif pour vous tendre le verre. Ensuite ils ne manquent pas d’humour. Tenez voir :

« Eh Monsieur le Marquis, t’as pas une bonne vanne pour le public ? »

Jim-Jim me regarde d’un air dubitatif, le sourcil arqué.

" … eh bien Coco … tu nous sucres les fraises de si bonne heure ?"

Moi de buter, l’œil sombre.

« … Des fraises ? C’est parce que j’ai une tronche d’herbivore que tu m’sors ça ? »

Là, le Baron de Lune d’Argent s’agite.

« Non … mais … je … Coco enfin … Un herbivore, toi ? »

« Bwahahaha, sacré Jim-Jim ! »

Voyez un peu ? Non franchement, c’était pas la fin du monde de recevoir tout ce p’tit monde par chez nous. Bon, faut admettre que derrière, la machine s’est un peu emballée … Les gobelins, bon - ils grouillaient de partout; les oursons cuisinent comme pas deux, alors … ; les cousins ça passe, les bronzés ont ramené Bernard … Bon les Zandalaris sont un peu tarabiscotés et Zalou leur fait pas bien confiance: ils ont cette façon de te servir des drôles de salamalecs en te prenant de haut comme la dernière des bouses, mais faut admettre qu’on s’y dore bien la pilule, par chez eux. La dernière variante d’elfe en date, j’y goûte déjà moins, mais ça aussi c’était pour la guerre - un peu comme les ratons laveurs, qui dans le genre clodos du désert se posent là, quand même. C’est vrai qu’on ferait un peu tout et n’importe quoi pour mieux se taper sur la tronche avec ceux d’en face …

Je reprends un rouquin, puis je filoche en loucedé vers la table. Ni vu, ni connu : telle est ma discrétion que moi-même, je n’y vois que du feu.

« C’est quand même terrible, la guerre … » que j’lui fais.

« Eh beh Coco, devenir sentimental après vingt plombes dans l’armée, c’est quand même pas trop tôt ! » que m’répond ce fieffé troll.

« Mais non, zozo - j’veux dire : qu’est-ce qu’on aura pas fait pour elle, n’empêche. »

Le filou me zieute de par dessous son crâne de machintruc, l’air dubitatif.

« J’y crois pas - t’es déjà beurré comme une tartine … »

« Ah tais toi, margoulin - n’es pas né celui qui fera rond comme une boule le brave Coco. Je parlais sérieusement, Zalou : la guerre, créfieu, quelle chienne alors ! »

Notre cannibale pénitent hausse les épaules en relevant pour de bon les yeux de sa dinette oraculaire.

« D’façon, Coco, il y a plus de guerre - c’est fini tout ça. La Horde, l’Alliance … c’est du vieux conte qui pousse à la chansonnette, mais plus personne n’y croit. »

« Ah tiens donc : et d’où tenez vous ça, mon bon sire ? Une carte de traviole sur la table qui vous fusille du regard ? Cet os de poulet partant vers l’est qui invoque l’avènement du malheur ? Un loa qui vous visite en songe pour vous murmurer l’avenir ? »

« Mais non, Marguerite, tu vois bien qu’on a pas remis le couvert avec les bleus depuis que la garce nous a laissé dans l’pétrin. Tout ce qui s’passe, ces jours ci, ça se passe euh … là-haut. Demande à Nono, voir, il t’en racontera des belles. »

« De quoi ? Comment ça là haut ? De où ? … de comment ? » m’insurge-je, alors que j’évente conspiration ourdie loin de mes yeux !

« Ah la bonne heure ! Dis donc, mon petit bœuf des pitons, dans quel patelin de très haute montagne t’es allé te coincer pour ne pas avoir flairé la nouvelle ? Même moi je suis au parfum, et c’est pas peu dire ! Eh oui, ça castagne encore et ça castagne sec - mais c’est plus par ici, et pour ce qui est du linge sale, il doit plus en rester des kilos entre nous et les mignons. »

« Beh … mais zut alors ! Moi j’en ai du linge sale à porter à la rivière, dis ! Tu remets le barbu qui m’a taillé l’épaule en Altérac ? Le margoulin ! Si je l’avais sous la patte, celui là … J’te le pendrais à un arbre, ça lui donnerait de la hauteur ! Ah ! Et le clébard ! Regarde moi ça, comme il m’a mordu la cuisse : on y voit encore les ratiches, vindieu ! Je te mettrai tout ça en laisse, moi ! Et au goulet ! AU GOULET, Zalou ! Ce paladin de mes deux bourses qui m’a assommé comme un drôle ! Ah le mauvais plaisant, le paltoquet - je l’ai encore plein le muffle, son musc de chevalier à la grenadine; la framboise qu’il sentait ! De la bleusaille d’Elwynn, Zalou, du jeune, du tout vert ! N’empêche qu’il m’a bien allongé dans la crasse, le misérable. Ah d’y penser, j’en deviens chèvre ! PAR HURLENFER, je vais t’en dépiauter de la marmaille de l’Alliance ! »

Là, à l’insu de mon plein grès, je suis debout sur la table et ma hache s’est retrouvée entre mes mains. Jim-Jim a déboulé en panique, mais Zalou n’a l’air que vaguement lassé.

"… Quinze ans, Coco. C’était il y a quinze ans, qu’il me lâche dans un soupir, pis fait pas le mariole, dis - t’étais au moins aussi vert que le gars d’Elwynn et tu fleurais le patchouli."

Sur ces entrefaites, Bernard, Nono et Philou déboulent bras dessus bras dessous, les filets pleins de langoustes et le pinard bien en main.

"Eh beh Marguerite, que m’fait Bernard en ricanant, tu nous danses sur les tables maintenant ? Va donc, ma jolie, dance, dance !"

"Môssieur Coco, explique Zal depuis sa confortable assise, … Môssieur Coco fait son nostalgique : il songe encore au beau chevalier qui l’a laissé sur les roses du Goulet, un beau soir de Novembre."

"Ah ! éructe ce foutu morback de Philou, la belle jambe que ça nous fait ! QUINZE ANS, Coco … Nan mais faut passer à autre chose, dis." Ce faisant, le corniaud a débouché sa dernière trouvaille.

"Hahaha tiens on l’avait pas entendu depuis une paie celle là, fait Nono en s’asseyant, lâchant force langoustes sur la table. N’empêche il t’avait bien eu, le gamin - pas vrai Môssieur l’Sergent ? Blam, d’un coup, le mufle dans la boue. N’empêche qu’on a bien rigolé avec Zalou, vrai ou pas vrai ?"

"Vrai mon seigneur ! ‹ Mince les gars, le Sergent barbote - nan laissez le, il prend ses aises; il aime ça, la gadoue : allez plutôt rapporter ce drapeau, dites … › Quelle journée, tu parles si je m’en souviens."

« Aaaah charognes ! »

"Dis donc Coco, renifle Bernard, t’aurais pas sifflé un rouquin ou six en notre absence, à tout hasard ? Tu m’as l’air bien fait. Zal ?"

"Ah moi je sais rien, heinPar contre, là dans les cartes, le message est clair : ‹ Vache dansante, moult roquins a descendus et tout autant en pissoiera › …"

"J’en étais sûr ! Ah le malappris, le faux-frère, le safre, le sagouin ! Jim-Jim, qu’il gueule, coupe donc le vin à cette pauvre bête, dis - elle est bien assez saoule comme ça."

Le traître lève les mains l’air de dire « C’est pas moi, c’est les cartes » quand je le gratifie de mon courroux:

« Ah le bel ami que voilà ! Il me vend à la première occasion ! On ne peut donc plus compter sur personne ? »

"Mais si, mais si Sergent fait Philou en battant les cartes et en remplissant les verres - tenez, venez donc barboter un peu plus bas avec nous autres qui sommes à hauteur de table."

"J’en étais pas, mais c’est une belle histoire, dit Bernard en levant son verre. Puis maintenant que c’est surtout du passé, j’ai envie de dire : à l’Alliance, eh, à ce vaillant Paladin où qu’il soit ces jours-ci … pis au Sergent, quand même."

« Lokt’ar Sergent ! » qu’ils disent tous, ces salopiauds.

« Ouais, ouais c’est bon, c’est bon »

Et d’un geste fluide, mon derrière sur la chaise.

« N’empêche, Coco … » que m’souffle Nono

« Quoi ? »

« Elle avait pas comme une odeur de framboise, cette gadoue ? »

« M-rde. »

« Entendu ! Jim-Jim, Monsieur le Baron ! Une grenadine pour Marguerite : il en pince pour un souvenir, m’vois tu ? »

« Une grenadine, une ! »

« Aaaah j’vous déteste … »

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Vraiment trop bien tes postes !!

Continu comme ça mon brave. :+1::+1::+1: