L'orque à la main blanche [récit & dessins]

Voici une histoire Classic que je ressors pour la Saison de la Découverte !


Deux illustrations du personnage :

  • https://www.instagram.com/p/COavREZBZhl/?igshid=MzRlODBiNWFlZA==
    (Apparence jeu Retail)

  • https://www.instagram.com/p/COfkJ5CBQnT/?igshid=MzRlODBiNWFlZA==
    (Apparence jeu Classic)


La Voie droite

Les Tarides, à l’aube.
Une caravane de kodo, qui vient de quitter La Croisée en provenance des steppes de Durotar, avance sur la légendaire Route de l’Or, voie sommairement pavée traversant la savane, en direction du nord.

C’est une caravane de marchands, si on peut appeler ainsi ces quelques trappeurs et fermiers orcs allant régulièrement proposer leurs produits aux forts des Warsong (ou Chanteguerre ) qui bordent la lisière de la forêt d’Orneval. En guise d’escorte, des guides taurens reconvertis en conducteurs de kodos, un vieux sergent orc de la Horde et sa patrouille de cinq jeunes conscrits fraîchement sortis de l’entraînement. « Allez on se magne, bande de bouses ! » hurle-t-il à deux des grunts restés un peu trop à la traîne. Les bêtes de bât portent diverses marchandises, mais deux d’entre elles tractent des chariots.

Assis dans l’un des chariots bâchés au milieu des paquetages, ou marchant entre les kodos harnachés mais sans se mêler aux jeunes grunts, des aventuriers et mercenaires s’échangent les dernières nouvelles alors qu’ils se rendent vers le Nord eux aussi. Ce type de têtes-brûlées est devenu courant, sur les routes de Kalimdor depuis quelques mois. On dit que les Warsong sont dans un état d’escarmouches permanentes avec les sentinelles elfes de la nuit qui hantent les forêts.

Il y a de l’or à gagner et sa valeur à prouver pour beaucoup d’entre eux.

Avançant à pied d’un pas fier et effronté, un orc à la tenue de bric et de broc, faite de lanières éparses et de bouts de métal, loue la hardiesse du clan Warsong, qu’il espère intégrer très vite. C’est un guerrier-né. Quel était son nom déjà ? Garlosh, Gasharg, Kromar, Nuzgul, Arzak, Darolg ? Difficile de se rappeler les noms de tous ces légionnaires sans légions, parfois tout au plus regroupés en clans sans histoire, ou en compagnies mercenaires aux noms fleuris, inattendus ou simplement peu inspirés. Lui est d’un groupe néo-clanique se faisant appeler « Pas de main, pas de pain », ou quelque-chose comme ça.
Mais son aspiration, son attente palpable, c’était un véritable accrochage entre les Warsong et les Sentinelles elfes. De vraies batailles, des morts glorieuses, et par conséquent un besoin de renflouer les rangs par des recrues …telles que lui.
Mais c’était encore trop tôt. La trêve arrachée par Thrall à l’alliance des elfes de la nuit et des humains avait toujours cours. Même si le clan Warsong faisait bien sûr tout pour y… « remédier ».

  • « Pourquoi allez-vous aider les Warsong si vous n’êtes même pas des Warsong ? »

Assise avec les autres, simplement vêtue d’une robe raide, une orque aux cheveux pâles contraste en effet avec le reste de cette troupe par son allure, son attitude et sa remarque. Elle tient une épée fine et droite dans son fourreau, avec une main gantée de cuir et fourrure blanches.

  • « Quelle question, nous sommes dans la Horde et nous partons aider nos frères !
  • Nous sommes des orcs, et les Warsong sont des orcs !
  • Dans la Horde, les clans s’effacent ! Dans la victoire ou la mort ! »

répondent à tour de rôle deux orcs assis dans le chariot ainsi que le guerrier qui marche à côté. Elle souffle légèrement et relance en désignant quelques autres aventuriers du convoi :

  • « Et ces taurens et trolls ne sont pas des orcs, et pourtant eux aussi vont aider les Warsong. Savent-ils seulement qui ils rejoignent ? Leurs coutumes, leur histoire ?.. »

La recrue assise face à elle répond pour tous :

  • « La plupart des gars de la Horde ne font pas grand cas de ces histoires, sœur. Ils vont là où l’appel de la guerre leur semble le plus proche.
  • Je vois. Toi qui as l’air franc sur votre ignorance, dis-moi, qu’est-ce qui t’a conduit jusqu’ici en prenant cette caravane ? Quel appel as-tu entendu ?
  • C’est par Gorlach le Hurleguerre, à Orgrimmar. Les Elfes menacent de déferler sur nos terres et seuls les Warsong les contiennent encore, mais la tension est grande. Oui, on peut dire que c’est grâce au Hurleguerre que j’ai pris et les armes ! et que je me trouve dans cette grande marche sur Orneval ! »

Ainsi les hérauts, les donneurs de missions, les rabatteurs et autres recruteurs des Warsong ont leurs entrées au cœur de la place-forte du chef Thrall - pense-t-elle.
En effet cette Horde avait fini d’effacer la forme de certains vieux et célèbres clans, mais certaines vieilles habitudes transpiraient encore et ces clans survivaient en sous-main.
Elle avait déjà redécouvert un clan de la Main brisée manifestement à moitié composé…de Trolls Darkspear. Plutôt incongru, mais loyal à Thrall.
Loyal oui, ce qui semblait encore plus incongru de la part de la Main brisée, à bien y repenser.
Et il y avait la Lame ardente, un clan sous la coupe des démonistes, dont l’entourage de Thrall se méfiait comme de la peste, tout en les ménageant…

L’orc qui marche à côté coupe sa réflexion en poursuivant :

  • « Toi qui nous parles de clans et de coutumes… Dis-nous donc : de quel clan es-tu ? »

  • « Je n’ai… Je sers… les Frostwolf. »

répond-elle après un instant de flottement, tandis qu’elle remarquait comment les autres observaient son arme et sa tenue d’un air dubitatif.

  • « Ahah, vous les Frostwolf. C’est vrai que vous faites toujours dans l’original… »

tente d’éteindre l’un d’eux.

  • « Ah. C’est étrange, ton style d’épée, ça me rappelle la Lame ardente. »

rallume l’autre.

  • « La Lame ardente ? C’est pas ce culte démoniaque qui grouille dans les cavernes hors d’Orgrimmar non ? J’ai dû en zigouiller quelques-uns, ha ! » renchérit un autre encore.
  • « Vous êtes encore des enfants… Vous n’avez dû connaître des clans que ce qu’on en racontait dans les camps, et que ce qu’on en dit encore à Orgrimmar. Soit bien après que la Lame ardente ait plaidé allégeance à la Légion ardente et mis son art martial au service des démons.
  • Bah ! A vrai dire… Jamais entendu parler de ceux-là avant cette histoire de secte et de cavernes, moi…
  • Sache qu’il fut un temps où la Lame ardente était synonyme d’honneur, d’héritage, d’une perfection du geste, de liberté et d’anarchie. Sans dieux, et sans chefs…
  • Pas de chef ? Pfeuh… sans chef, aucune troupe, aucun clan et aucune Horde ne pourrait aller dans le bon sens ! Pas étonnant qu’ils aient si mal tourné. »

L’apprenti chaman assis sur le côté et qui avait justement remarqué le style d’épée plus tôt poursuit, avec un air légèrement pédant qui sur un orc passerait sans mal comme ridicule :

  • « L’anarchie, c’est le chaos, et le chaos, c’est finir esclave de la Légion ardente ! La Horde dirige, la Horde domine ! Et c’est dans la Horde que nous dominerons nos anciens oppresseurs ! »

Une vague de hochements de tête et de grognements d’approbation parcourut le charriot.

Elle aurait voulu le reprendre mais avait-il réellement tort ? N’avait-elle pas elle aussi troqué sa liberté et son anarchie contre le service, dans le clan aux Loups de givre ? Au service des généraux comme Drek’thar. Au service du général qu’elle s’était choisi : Rok’saur Snow-Red.
La liberté sans l’honneur est infamie. L’honneur sans liberté est servitude.

Pour exprimer sa pleine liberté, elle avait choisi librement de servir un clan qu’elle jugeait honorable.
Et au-delà… Une cause plus vaste encore.

  • « …Et pourtant, frères, il reste quelques Lame ardente qui ne servent pas les démons. Vous étiez à La Croisée cette nuit… Vous avez sûrement aperçu ce guerrier solitaire qu’on appelle Mankrik. Hé bien sachez qu’il est de ceux-là. Le sashimono qu’il arbore parfois, et qui représente un sabre dans un tourbillon de feu, est celui de ce clan. »

Le guerrier à pied commente :

  • « Bah. Cette époque des clans m’a l’air bien compliquée, quand-même. Avec la Horde, tout est plus simple. »

Tournant légèrement la tête et rabattant un pan de toile bâchant le charriot, elle regarde au loin. La caravane approche des lisières d’Orneval, ce qui se ressent avec la vue de l’horizon vallonné, couvert de grands conifères, dont l’ombre de certains spécimens a commencé à entrecouper la marche sous le soleil de plomb de la plaine.

  • « Et toi, où vas-tu si tu ne comptes pas poursuivre avec nous chez les Warsong ? »

demande-t-il encore.

  • « Moi, je vais vers le Mont de la Brume funeste. Et nous sommes au plus près à cet endroit. Je vous laisse donc ici. »

dit-elle en désignant du bras un pic solitaire qui se détachait depuis un moment de la savane sur leur gauche.

Pendant que tous jettent un coup d’œil dans cette direction, ils aperçoivent la silhouette gracile de l’orque qui d’un pas véloce fend déjà les hautes herbes bordant la voie, sans avoir pu la voir ou la sentir sauter de la carriole.
Elle se fige un moment et se retourne, remarquant que tous la regardent d’un air circonspect, et lâche avant de s’engouffrer dans la savane :

  • « Que la victoire vienne à vous ! mais puisse vos envies de guerre ne pas entacher votre honneur. »

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La voie sinueuse

Quelques heures plus tard, elle apparait au sommet de ce pic rocheux où l’air est épaissi d’une âcre fumée rougeâtre, tel un brouillard malsain de feux et de bûchers magiques qui enrobe tout… Les silhouettes inquiétantes d’Orcs qui s’affairaient derrière ce rideau de brume rousse, la plupart en bures noires de sorciers, se retournent toutes à l’unisson sur l’entrée en scène de l’importune.

Elle n’y prête pas une grande attention, marchant d’un pas leste et déterminé sur la pente rocailleuse, au milieu des campements et de leurs feux aux effluves infâmes. Les silhouettes sombres et inquiétantes semblent s’écarter de sa route.

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Elle passe dans le dos d’un sectateur affalé sur un autel de pierre primitif, une épave vivante, l’esprit brûlé par des émanations abjectes sûrement trop concentrées.
Soudain, il se relève en étant pris de convulsions. Le regard révulsé et pris de tremblements, il titube puis empoigne une lance pour se jeter sur l’intruse. SLASH ! Personne ne bronche dans cette foule menaçante, tandis que le dément s’écroule aussitôt, fauché par un simple écho tourbillonnant de cette orque. Même un oeil averti n’aura pu percevoir que le katana voltigeant, entre cet instant où il sort du fourreau et celui où il y est rerangé, simplement séparés d’un clignement d’oeil et d’un geste sec pour essorer le sang qui avait brutalement trempé sa lame.

Elle atteint bientôt une corniche à flanc de montagne, près du sommet. Avançant toujours la main posée sur la poignée de sa lame, elle tire encore l’épée du fourreau d’un geste sec et silencieux, cette fois pour se mettre en garde.

La masse sombre d’une caverne se devine de plus en plus nettement en approchant de son but.

  • « Entre, Yukinagai à la Main blanche. ENTRE et rejoins enfin tes frères de…SANG. »

La voix tonnante et rêche qui vient d’être éructée par cette plaie de noirceur dans la montagne… Elle la reconnait. Nargulsh le Démembreur, un démoniste.
Un démoniste du clan.
Elle stoppe net son avancée, à quelques pas de l’entrée.

Il lui a semblé, l’espace d’une seconde, que mille yeux d’émeraude ardente lui transperçaient l’âme depuis cette abîme. Elle fait trois pas et s’arrêe de nouveau, laissant à ses yeux le temps de s’habituer au manque de lumière…

Au même instant…
Orgrimmar, forteresse des orcs de la grande Horde, dans la région désertique voisine : Durotar.

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Un orc grisonnant de bonne stature contemple l’horizon depuis les hauteurs d’un fort de pierre, de bois et de peaux brutes. Son allure selon les codes des orcs est celle d’un seigneur et d’un général. Mais il n’est pas sur ses terres, c’est un représentant du clan ancien, les Frostwolf. Pour un orc des montagnes enneigées, le voilà depuis des semaines à humer l’air chauffé par le soleil de la steppe et par les feux des forges et des braseros.

  • « Si tout se déroule comme nous l’avons vu… Hmmr… Je serai de retour dans la vallée pour la fête de la première neige. »

Une silhouette sombre s’approche, arrivant de l’intérieur, accompagné de quelques volutes de fumée rituelle qui s’échappent entre des tentures pendantes en guise de porte. C’est une présence inquiétante drapée d’étoffes violettes et noires, une marionnette vivante massive, le regard vif, mais possédé. Et elle s’adresse au seigneur :

  • « Tu l’as vu comme moi, Snow-red. Ou peut-être que tu n’es déjà plus digne d’être appelé long-voyant ? »

Le seigneur cesse de fixer le lointain et ferme les yeux, l’air tendu.

  • « Je l’ai vue. Ma Main blanche vient d’entrer dans l’antre du Démembreur, là où tu nous l’as indiqué.
  • Sera-t-elle à la hauteur ? Aura-t-elle la puissance ? Elle qui a une fois encore refusé le don du « Feu »… Peut-être, une fois de trop…
  • L’honneur est le feu le plus vif qui pourra à jamais l’embraser. Elle connaît de près la Lame ardente, et elle est notre meilleure lame pour l’abattre. Le sort du démoniste est scellé depuis le jour où nous avons proclamé sa mise à mort.
  • Bien… Bien. Je l’espère pour elle …Et pour toi, Rougeneige . Si elle réussit, nous aurons chacun notre part du tribut de ce pacte. Si elle échoue…
  • Retourne au brasero rituel, Shadowning. Il est temps de démontrer que ta foudre d’ombre n’est pas qu’un abject gribouillage sur un étendard oublié. »

Monts de la Brume funeste, heure inconnue…

Une chaleur étouffante comme dans une étuve. Et le vertige, le sol qui semble se mouvoir et les parois se refermer, zoomant et dézoomant avec les battements du coeur. Un tournis s’empare de la sabreuse alors qu’elle avance avec prudence d’un rythme lent, lourd et saccadé, prenant fermement appui à chaque pas.

Les volutes de cette fumée infecte qui enrobe la montagne, ici, saturent totalement la caverne, dans un rouge opaque et visqueux qui poisse les cheveux, la peau des bras et des mains. Elle regarde sa prise sur le manche de son sabre. Des gouttelettes de sueur perlent sur ses poignets… Des gouttelettes ferrugineuses, rouges comme du sang.
Elle rejette sur les côtés ses longs cheveux tombants, devenus collants, et s’enfonce plus encore dans ce boyau jusqu’à perdre les derniers rayons du jour qui pouvaient percer ce voile de fumée.

Alors que les ténèbres l’enveloppent, elle perçoit à nouveau ces visions d’horreur. Les choses qui sont invoquées ici l’épient, sondent son âme, et chatouillent l’intérieur de son crâne avec sadisme.

Elle ferme les yeux mais ne recule pas, elle laisse échapper un grognement mais ne frémit pas. Sa vie entière l’a préparée à de telles épreuves.

Là, au bout de la grotte, une lumière surnaturelle perce la noirceur presque liquide des lieux. Elle la voit malgré ses paupières closes. Elle raffermit encore ses pas. Chacun devient plus lourd et sonnant, comme sauté à pied joints, et résonne sur la roche.
C’est un cristal rougeoyant, déployant mille fenêtres vers le Néant où résident les démons de la Légion ardente. Des légions d’horreurs qui hurlent et ricanent par-delà la réalité… qui l’appellent, qui appellent à les contempler si elle l’ose !
Alors qu’elle approche d’un pas de plus en plus marqué, les yeux prudemment fermés mais les sens aux aguets, elle pressent la présence malveillante - et bien physique, cette fois - du maître démoniste.

Soudain, une pointe dégoulinante d’un suc verdâtre fluorencent est brandie et fend les ténèbres, prête à lui percer la gorge. Nargulsh le Démembreur a surgi des ombres. Mais rien… Rien à part le bruit des pas de l’intruse.
Le temps d’un souffle passe, et la dague ointe de gangrène distillée siffle à nouveau dans le noir. Puis une fois encore, un silence rythmé par des bruits de pas. La silhouette drapée de bandelettes pourpres du démoniste poignarde le vide, s’acharne, halète, râle, comme convaincue de toucher sa cible, mais toujours rien.

Le cristal éclaire la cavité de son rouge monochrome avec plus d’intensité. Son reflet apparaît dans le regard du démoniste alors qu’il tourne lentement la tête, pour voir que Yukinagai Whitehand se tient en fait derrière lui et que la présence sur laquelle il se démenait n’était qu’une image-miroir.

  • « Petite f… »

Son étonnement est interrompu par son propre rugissement de douleur alors qu’il lâche la dague sacrificielle, l’avant-bras transpersé par la lame d’un wakizashi.

D’un mouvement instinctif, il se dégage en projetant une conflagration de feu infernal de sa main gauche, et tombe dos à l’autel démoniaque.

  • « Répugnante faible ! Tu rejettes la puissance du fel ! Tu rejettes le don de nos véritables dieux !!.. »

Les braises du sort de conflagration pleuvent lentement dans la caverne et éclairent la maître-lame qui se relève face à lui, le visage à moitié protégé par le bras qui tenait le wakizashi.

  • « Sois rassuré, Démembreur, s’il y a un faible de nous deux, il ne sortira pas d’ici vivant. »

Nargulsh s’extrait la courte lame ensanglantée d’un geste sec et déterminé, et tout en fixant Yukinagai de son regard gonflé de haine, la pose fermement sur l’autel derrière lui.

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  • « Tu n’as pas idée… Tu t’es peut-être jouée de moi avec ce tour que tu tiens du vieux Arashimaru… Mais je connais des tours bien plus mortels, et tu viens de m’offrir une occasion inespérée de les déchaîner comme jamais. » ajoute-t-il en léchant avidement la plaie de son avant-bras.
    « Tu vas avoir l’honneur d’être démembrée dans les règles de l’art ! …ENTRAVES !! »

Il lève les bras en ordonnant son sort. La sabreuse a à peine le temps d’éviter les illusions de chaînes sorties du Néant qui tentent d’enrouler ses poignets, mais il est déjà trop tard : ses chevilles sont enchaînées.

La voilà immobilisée par les pieds.

Les yeux du démoniste se mettent à rougeoyer de la même lumière qui pulse dans le cristal, et son sang qui tachait le wakizashi est comme évaporé et aspiré dans ce dernier, tandis que l’orc se met à psalmodier des sorts dans la langue d’Eredun. Une boule grossissante de magie noire se concentre et lévite entre ses doigts difformes.

Sans qu’il s’en aperçoive, Yukinagai se saisit d’un caillou indigo qu’elle portait à sa ceinture. La gemme se met à vibrer et rayonner elle aussi, et elle le jette sur son bourreau.
Le démoniste marque à peine une pause en sentant le contact de la petite pierre qui va ricocher ensuite sur l’autel, avant de terminer son incantation par ces mots en orc :

  • « ARRACHE-LA ! »

Mais curieusement, la sphère de ténèbres se contente d’exploser dans ses mains dans un grand éclair noir qui le paralyse sur place.

  • « C… Comment ?! »

La maître-lame, stoïque, le nargue.

  • « À ton avis, ton âme va retrouver Draenor ou bien dériver dans le grand Néant ? »

Des filets d’énergie verdâtre commencent à s’échapper de ses épaules, de son crâne et de tout son corps, aspirés vers l’arrière. Là, sur l’autel, il constate que le cristal qui était rouge a viré au violet bleuté.

  • « Qu’as-tu fait, traînée !! NON ! »

Il se jette sur Yukinagai dans une dernière pulsion de haine, mais son élan est soudain stoppé et inversé par une onde de force expulsée par le cristal. Yukinagai elle-même tombe vers l’avant.

Le Démembreur se retrouve un genou à terre à moins d’un mètre d’elle, il dérape, il sent ses jambes entraînées vers l’arrière.
Il plante ses doigts dans la moindre anfractuosité du sol, gratte la pierre poussiéreuse de ses ongles noircis, tente frénétiquement de ramper, de se débattre… Mais avec un dernier râle, le voilà happé corps et âme dans une facette désormais sans éclat du cristal.

Des décharges de vide continuent de balayer l’autel et des éclairs de ténèbres zèbrent la caverne.

Appuyée sur ses bras, toujours maintenue par les chaînes démoniaques à ses pieds, les cheveux flottant vers le cristal, la maître-lame manque d’être elle-même aspirée, et assiste à la disparition de trois sbires de la Lame ardente, probablement venus en renfort, attirés par les cris du Démembreur depuis l’entrée, et eux aussi capturés par la pierre maléfique déchaînée.

Quelques minutes passent… Les torches perdues par les acolytes aspirés apportent une lumière moins surnaturelle aux lieux. Le cristal devient peu à peu inerte. La gravité revient à la normale, et Yukinagai sent l’emprise des entraves sauter et tomber en poussière sur ses chevilles.

  • « Justice vous a été rendue, maître. » conclut-elle en elle-même.

Elle se relève, d’un air grave, et commence à fouiller les artefacts entreposés par le Démembreur.

Là, elle retrouve les effets de son ancien mentor, Arashimaru de la Lame ardente. En premier lieu, elle ramasse les fragments de sa Lame des héros, brisée. Il faudra la reforger selon la technique ancestrale… Puis, un sashimono, bannière au motif de l’ancien clan presqu’effacé. Enfin elle reconnait le cor de dressage qui commandait le plus jeune worg du vieux maître, un animal d’exception connu dans le clan pour avoir pu reproduire la technique des images-miroirs. Il faudrait enquêter, où la bête avait été confiée à la disparition de son maître.

Alors qu’elle jette un regard méfiant vers l’autel, elle reconnaît cette gemme indigo que lui avait confiée le sorcier Kor’tchak Shadowning à la demande du seigneur Snowred, accolée magnétiquement au cristal.
Elle soupire.

  • « Une parole est une parole. » se dit-elle, et elle se saisit d’un tissu pour desceller le tout de l’autel, et l’emporter.

Mais au moment où ses paumes prennent le cristal à travers l’étoffe, elle se rend compte qu’elle ne ressent plus le regard de la Légion infernale et ses nuées de démons ricanants et hurlants. Un grand silence au contraire, comme après la tempête, émane de la pierre.

Et malgré tout, une présence émane… Une silhouette reflétée et illusoire, à la fois gracieuse et anormale.
Dans les ondulations des visions à l’intérieur du minéral, elle croit deviner que cette créature est cornue, dotée d’une longue queue serpentine mais lisse, de deux mains griffues et de deux fines pattes comme les trotteurs des savanes et les antilopes. Elle croit entendre résonner dans un orc approximatif ces paroles :

  • « Vas, tu as bien agi. Il nous reste de grandes choses à faire. »

Après quelques instants sans plus rien percevoir, Yukinagai finit d’envelopper le cristal, ramasse une torche et quitte la grotte sans plus rencontrer de résistance.

Au milieu du campement, qu’elle retrouve déserté sans raison apparente, elle prend le temps de planter et dresser la bannière de l’ancien clan. De la cendre blanchie d’un des feux de camp éteints, elle prend une pleine poignée, et vient appuyer de sa main sur le sashimono délavé avant de quitter ces montagnes de la Brume funeste.