MEUPORG est une exploration ethnographique de Word of Warcraft, c’est-à-dire une étude immersive qui cherche à comprendre une culture ou un groupe social en observant directement ses membres dans leur environnement. Dans le cas de MEUPORG, cela signifie explorer World of Warcraft comme un véritable terrain d’enquête, en interagissant avec les joueurs, en observant leurs pratiques, leurs rituels, leur langage et leurs relations sociales. Cette approche vise à saisir le vécu des joueurs de l’intérieur, en adoptant leur perspective plutôt qu’en se contentant d’une analyse externe.
Aujourd’hui : la recherche francophone sur les MMORPG
La recherche francophone sur les jeux en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) s’est structurée autour de quatre grands axes. D’un côté, elle s’est largement penchée sur les addictions et usages problématiques, en interrogeant les effets négatifs potentiels du jeu. De l’autre, elle explore aussi les dimensions plus constructives et créatives de ces univers numériques : la créativité des joueurs, les transformations identitaires rendues possibles par l’avatar, et les formes d’organisation communautaire qui émergent en ligne. Ces quatre entrées permettent de mieux comprendre ce que les MMORPG font aux joueurs, mais aussi ce que les joueurs font de ces mondes virtuels
Les addictions et les usages problématiques
Parmi les sujets les plus débattus figure la question des usages excessifs, parfois désignés — non sans controverse — sous le terme de « cyberaddiction ». Très médiatisée, cette notion divise les chercheurs.
Certains travaux, comme ceux de Bioulac et Michel (2012) ou Billieux et Van der Linden (2009), considèrent l’addiction aux jeux vidéo comme une pathologie à part entière, à l’instar des dépendances aux substances. Ces approches s’appuient sur des outils cliniques de diagnostic et mettent en lumière des liens avec d’autres troubles psychiques comme le TDAH ou la dépression.
D’autres chercheurs, plus proches de la clinique psychodynamique, proposent une lecture différente. Pour Disarbois (2009), Rossé (2018), ou encore Vlachopoulou et Missonnier (2014), l’addiction ne serait pas une maladie en soi, mais plutôt un symptôme, une façon de répondre à un malaise intérieur. Le jeu devient alors une forme de régulation psychique, parfois maladroite, qui aide à fuir la souffrance, la solitude ou le vide existentiel.
Marc Valleur (2007) appelle à dépasser les approches simplistes en rappelant que le jeu peut aussi bien servir de refuge que devenir un piège. Ce n’est pas le jeu qui est pathogène en soi, mais la manière dont chaque individu s’en empare, selon son histoire personnelle, sa structure psychique et son contexte de vie. Le joueur n’est pas passif : il mobilise le jeu à sa manière, pour faire face à des réalités internes ou externes.
La création et l’innovation
À l’opposé des préoccupations cliniques, d’autres chercheurs mettent en avant le rôle actif et créatif des joueurs. Les MMORPG sont ici perçus comme des environnements ouverts, où les joueurs ne sont pas de simples consommateurs, mais de véritables co-auteurs des mondes qu’ils habitent.
Jaulin et Weil (2003) décrivent par exemple comment les joueurs peuvent modifier les règles du jeu, proposer de nouvelles formes d’interactions ou faire évoluer les structures sociales dans lesquelles ils s’insèrent. Ces travaux s’inscrivent dans la lignée de la sociologie de l’innovation et des réflexions issues du monde du logiciel libre.
Dans cette perspective, le joueur devient un acteur à part entière dans l’évolution du jeu : un « ingénieur de mondes », pour reprendre une expression désormais classique. Les MMORPG sont alors vus comme des laboratoires d’expérimentation collective, où chacun peut participer à la fabrique du virtuel.
L’identité et la subjectivité
Un autre axe de recherche s’intéresse aux transformations subjectives que permet l’expérience du jeu. Ici, l’avatar — ce personnage que le joueur incarne — devient un véritable support symbolique, un miroir ou un masque, à travers lequel chacun peut explorer certaines facettes de soi.
Dans la lignée des travaux d’Erving Goffman et de Sherry Turkle, les chercheurs analysent les MMORPG comme des espaces transitionnels, où le joueur peut expérimenter différentes identités, tester des postures relationnelles ou mettre à distance des conflits internes. Le jeu devient un cadre intermédiaire entre le réel et la fiction, à la fois sécurisant et propice à l’exploration.
Rossé-Brillaud et Chotard-Fresnais (2009) proposent ainsi de lire les MMORPG à la lumière de la théorie de Winnicott : ces mondes seraient des espaces transitionnels, où se rejouent des enjeux profonds liés à la séparation, au contrôle ou à la construction de soi. L’avatar devient alors un outil psychique : un double numérique pour se raconter autrement, pour rejouer ou réinventer son rapport au monde.
Les communautés
Enfin, un dernier grand domaine de recherche s’intéresse à la vie collective au sein des MMORPG. Ces jeux donnent naissance à des groupes organisés — les fameuses guildes — qui fonctionnent avec leurs propres règles, hiérarchies, rituels et modes de gouvernance.
Dans une enquête ethnographique menée dans Dark Age of Camelot, Alexandre Largier (2003) décrit ces guildes comme de véritables micro-sociétés. On y apprend à coopérer, à gérer des conflits, à exercer une forme de leadership. Le MMORPG devient ainsi un terrain d’apprentissage du vivre-ensemble, un espace où l’on rejoue à petite échelle les dynamiques sociales du monde réel : solidarité, pouvoir, négociation, exclusion.
Ces communautés, bien que numériques et informelles, révèlent une étonnante complexité sociale. Elles montrent que les jeux en ligne ne sont pas des bulles déconnectées, mais des milieux où se tissent des liens, des identités et des institutions.
Il est important de noter que cette forte concentration des recherches sur les usages problématiques — et en particulier sur les formes d’addiction — tend à créer un déséquilibre dans le champ d’étude. En focalisant l’attention sur les effets négatifs potentiels du jeu, la recherche court parfois le risque de s’enfermer dans une démarche confirmatoire, où l’on cherche surtout à valider l’hypothèse d’un danger, au détriment d’une exploration plus ouverte des multiples usages du jeu. Ce biais peut occulter la diversité des expériences ludiques, réduire la complexité des trajectoires individuelles, et invisibiliser les formes positives d’engagement dans les MMORPG. Autrement dit, plus on regarde le jeu à travers le prisme de la pathologie, moins on voit ce qu’il permet en termes de créativité, de construction de soi ou de lien social. Pour retrouver un équilibre, il devient nécessaire d’élargir le regard, en intégrant de manière plus systématique les apports des recherches sur l’innovation, l’identité et les dynamiques communautaires.