[Nouvelle] Volitif

J’attends que quelque chose se passe.

Je suis en apesanteur, léger comme jamais je ne l’ai été. Mais mon coeur est si lourd, comme jamais il ne l’a été. Je voudrais hurler, mais ma voix est comme celle d’un enfant : douce et facilement perdue dans la foule. Personne ne m’entend. Sauf une infime lumière, égarée au loin. Elle seule en est capable parmi toutes les autres. Elle est entourée, mais pourtant si seule. Elle essaie de me comprendre, mais n’entend qu’une partie des bruits que j’émets. Elle essaie, et c’est tout ce qui compte.

L’instant d’après, je contemple des milliers de reflets de moi-même. Et l’espace d’un instant, je ressens tout ce qu’ils ressentent. L’allégresse d’une bonne compagnie, la douleur de l’échec, le souffle de la mort, l’euphorie du succès, la surprise de la naissance. Je ressens tout cela à la fois.

Puis tout s’évanouit.

Et enfin, je peux de nouveau contempler cette lumière si lointaine. Elle vacille, comme si elle se trouvait à un endroit où elle n’était pas vraiment, à différents moments. Elle continue encore et encore, et cela suffira. Cela doit suffire.

J’attends que quelque chose se passe.

Je suis en apesanteur, plus léger que jamais. Mais mon coeur lui, est plus lourd que jamais. J’aimerais hurler, mais je n’arrive qu’à minauder des chuchotements. Personne ne m’entend. Sauf une infime lumière, perdue à l’horizon. Elle essaie de m’entendre, mais ne comprend qu’une fraction de mes murmures. Elle essaie, et c’est tout ce qui compte.

L’instant d’après, j’aperçois les milliers de reflets de moi-même. L’espace d’un instant, je ressens leurs émotions, leurs sentiments. Tout à la fois. Ils sont désorientés, seuls mais pourtant accompagnés. A la fois perplexes et troublés. Nerveux et sereins.

Les reflets disparaissent.

A l’horizon j’entrevois cette lumière égarée. Elle danse, comme si elle allait d’un endroit à l’autre avec une aisance qui n’est pas mienne, d’un instant à l’autre. Elle continue encore et encore, et cela suffira. Cela doit suffire.

Blanc.

Il regarde le plafond de l’endroit où il se trouve. Blanc. Le même blanc qu’hier, et certainement celui de demain, ou du moins, ce qui y ressemble. Il ne sait pas depuis combien de temps il est dans cette cellule. Il soupire. Suffisamment de temps pour avoir remarqué les imperfections du blanc. Comme des petites taches. Grâce à son imagination, ces taches sont devenues des formes de choses qu’il connait ; un arbre, un poulpe, un coeur, une tête de renard…

Puis il tourne la tête. De l’intérieur de sa cellule, il regarde vers l’extérieur.

Il a vu tellement de choses se produire au dehors qu’il ne sait dire si tout cela est réel. D’un certain point de vue, très certainement.

Certaines fois il aperçoit des contrées qui lui sont inconnues. D’autres fois, il voit une ville si familière que cela lui fend le coeur. Parfois, il reconnait des lieux mais ils sont différents. Quelques instants plus tard, il navigue entre le crépuscule et l’aube. Les jours sont aussi long que l’éternité tandis que les nuits aussi fugaces qu’une brise printanière.

Certaines visions sont uniques. D’autres reviennent, encore et encore.

Une fois, il se voit lui-même : il pointe du doigt une cible, se tenant aux côtés de sa soeur. L’arme qu’elle a entre les mains lui semble familière, c’est le fusil qu’il l’a aidé à fabriquer. Il a toujours été habile pour assembler des choses. Emily avait utilisé ce fusil pour la première fois pour sauver la vie de son frère. Puis elle l’avait perdu lors d’un naufrage, 4 ans plus tard.

Cette vision le fait pleurer, chose qu’il pensait impossible vu le temps qu’il a passé sans boire le moindre liquide.

Toutes ces visions se succèdent, jours après jours. Mais il ne sait lesquelles sont vraies pour lui. Il n’est pas sur que la question soit pertinente. Il continue donc à observer.

Cela lui important peu sur l’instant. Il a tout le temps du monde.

Quelque chose se produit.

Je ne flotte plus dans les airs. Quelque chose est différent. La lumière dansante au loin m’observe toujours. Lorsque je hurle, je sais qu’elle tente de me comprendre. Mais c’est comme si j’étais muet. Mon message ne lui parvient pas. Il faut qu’elle continue.

Deux autres lumières sont apparues, timides, fugaces. Puis elles sont reparties. Mais elles sont là. Elles ne comprennent pas. Elles ne savent pas que je suis là.

Il y a tant à leur dire.

Je doute pouvoir leur parler un jour. Je les observe tenter d’avancer.

Il y a pourtant tellement de choses à dire.

Les chemins qui nous attendent sont inconnus, mais le temps nous apprend bien des choses. Les instants qui forment le passé sont des plans pour l’avenir.

Nous assistons à une alchimie entre l’un et l’autre. Et quelque part entre eux se cache le réel. Les choses tangibles.

C’est un indice, le sentiment qui vous indique que tout cela est vrai.

Et si la vérité n’a pas été dite ? Et si la vérité est un mensonge ?

Des nouvelles voies s’offrent à nous. Les plans évoluent. Le chemin change. Et l’on poursuit tous les jours vers la vérité.

Mais maintenant, la fine ligne qui maintient ce fragile équilibre a été franchie.

Et ce ne sera pas la dernière fois. Telle est la vérité.

construit le passé le passé le passé

Il passe ses journées à regarder dehors.

La nuit, il tente de se remémorer ce qu’il a vu. Mais il n’a pas le temps, car une nouvelle journée commence. Il se remet donc à regarder dehors.

Ce n’est jamais le même horizon. Cela ne lui déplait pas forcément. Il a toujours aimé admirer de nouveaux horizons.

Tout d’abord, c’était tout le temps un nouveau lieu. Des endroits époustouflants, qui lui étaient tous inconnus. Il regardait alors ce qui se présentait sous ses yeux avec une grande curiosité, scrutant les moindres détails avec une grande attention.

Puis, ces horizons sont devenus plus familiers. Des endroits qu’il connaissait. Sauf qu’ils étaient étranges. Si ils semblaient similaires au premier regard, ils ne l’étaient pas dans les détails. Heureusement qu’il faisait toujours attention aux détails.

Les premières fois, il pensait que c’était dû à sa mémoire, que ses souvenirs n’étaient pas aussi fidèles qu’il ne le pensait. Il s’est vite rendu compte que ce n’était pas ses souvenirs qui étaient faussés. C’était bien ces endroits qui n’étaient véritablement pas les mêmes. Plus il regardait ces lieux, plus il en était convaincu.

Il ne comprenait pas le sentiment de malaise qui l’envahissait à chaque fois. Il scrutait avec toute son attention les moindres détails.

Si seulement il pouvait s’y passer quelque chose. Il saurait ce qui ne va pas.

Il continue d’observer ces horizons familiers, dans l’espoir d’y trouver une quelconque chose pour comprendre ce qui s’y passe.

Le temps ne lui manque pas. Il reste là à observer, encore et encore.

Il est, et il n’est plus.

Cela lui apparaît comme une évidence, désormais.

Tout ce temps à observer ces horizons familiers, tout ces instants passés à scruter la moindre chose qui pourrait lui faire comprendre pourquoi il était envahit par ce sentiment de malaise, cela prenait forme dans son esprit.

Il comprend, maintenant, qu’il observait le passé. Un passé différent de ce qu’il a connu. Un passé où il n’est pas. Comme si son existence même avait été effacée. Comme si il n’avait jamais existé.

Et pourtant, il est là. Il ne sait toujours pas où il se trouve. Le blanc de sa cellule est toujours le même. Il ne sait pas comment en sortir, mais il sait désormais qu’il doit tout faire pour. Sa curiosité retient pourtant toute tentative. Il veut savoir jusqu’où cela peut aller. Il se demande même si ce n’est pas mieux comme cela. Ainsi, toutes les déceptions, tous les échecs, tout ce qu’il a pu entreprendre n’est plus. Peut-être en tirera-t-il des enseignements.

Comment les choses se seraient déroulés sans son influence.

Il pense à sa femme. Il pense aux enfants qu’ils auraient pu avoir. Il pense aussi à sa soeur, et à ses parents qu’il n’a que peu connu. Puis il se met à pleurer, chose qui lui semble miraculeuse.

Le malaise s’en est allé, et c’est maintenant le doute qui s’installe. Qui l’envahit. Il ne savait plus quoi penser.

Il s’allonge, et scrute de nouveau les horizons débarrassés de son existence.

franchis franchis franchis la ligne

C’est elle.

C’est la seule chose constante parmi tout ce qu’il observe, tout ce qu’il voit. Elle n’apparaît pas toujours au premier coup d’oeil, mais il finit toujours par la remarquer. Des fois au premier plan, des fois plus en retrait, parfois cachée. Mais elle est à chaque fois présente.

Elle semble inquiète, les mains toujours serrées sur son arme. Certaines fois, elle regarde la scène, comme lui, d’autres fois encore elle semble se parler à elle-même. La plupart du temps, elle scrute les lieux, à la recherche de quelque chose.

Mais que pouvait-elle bien chercher ?

Observait-elle, comme lui, afin d’apprendre ? De comprendre ? Ou cherchait-elle quelque chose de précis ? Un objet, une arme ?

Non. Elle ne cherchait pas quelque chose.

Elle cherchait quelqu’un.