L’autel de Dagun
J’ai l’habitude des livraisons qui sentent la marée. Mais là, avant même d’avoir déballé le colis, je savais qu’il avait passé quelques semaines de trop dans un entrepôt surchauffé.
Je ne sais pas pourquoi elle se met à m’expédier des algues. Leur odeur saline et rance imprègne tout. Elles semblent curieusement résister à la putréfaction, et baignent dans une solution gélatineuse exsudée de leurs propres filaments tentaculaires.
Son voyage a été un peu long, et son récit manque parfois de cohérence. À croire qu’elle n’avait pas entièrement le contrôle de son esprit en rédigeant ses notes. Tout est parti d’un nain exilé au sud des terres ingrates, à qui elle a rapporté une tablette antique. Un de ces cailloux gravés, issus d’une période antédiluvienne, bien plus ancienne que les premiers nains et les premiers gnomes, enfouis au cœur de ruines cyclopéennes, entourées de malédictions et de désolation sinistre. Il a fallu ensuite qu’elle se rende à la caverne lugubre d’Ironforge, pour frayer en bien mauvaise compagnie. De là, direction Âprefange, où la côte nord est contrôlée par la tribu Aileron boueux.
Elle a massacré un large quota d’oracles murlocs, dans une brume épaisse et tenace, hors de vue des murailles rassurantes de Theramore, pour mettre la main sur ce varech qu’elle prétend enchanté. Les hommes-poissons vouent un culte à des créatures puissantes et maléfiques, qui dorment d’un sommeil éternel, loin dans les profondeurs abyssales.
La légende dit qu’il est possible de réveiller l’une de ces entités anciennes, en déposant une offrande de goémon sur l’autel de Dagun.
https://drive.google.com/file/d/1pJqwxlb8norITTUYaeHLYTNs0qs9YIHw
Je sais que sa curiosité est capable de la conduire aux extrémités les plus stupides. Mais si son écriture devient de plus en plus embrouillée et absconse, ce n’est pas seulement en raison de l’excitation face au danger. Elle parle de menace ancienne, d’habitants des profondeurs, de Ryn’eh, d’une cité engloutie, de tout un charabia ésotérique qui laisse à penser qu’elle a perdu la raison.
Je me demande vraiment ce qui a pu se passer lorsqu’elle a activé cet autel, et pourquoi elle m’envoie de quoi répéter ce rituel, en m’incitant à le diffuser. Une sorte d’appréhension me saisit. Les caractères tracés à l’encre de seiche semblent tourbillonner sur le papier. J’ai comme un malaise. Sans doute le résultat de l’odeur de ces algues dégoûtantes. Je vais me reposer. Je les brûlerai demain.