Bonjour la compagnie !
Je reviens de nouveau vers vous afin de vous proposer la suite (pour les 3 lecteurs au fond du bus !
) de l’épopée Une Aube Nouvelle.
Le Livre I s’étant achevé et en ayant quelques retours en off (sisi pour de vrai et merci à eux !
) , je m’étais promis à moi même de terminer ce que j’avais déjà entamé, toujours avec autant d’amour et de passion que j’ai pour l’univers. A noté que nous ne sommes qu’au début du Livre II, donc beaucoup plus abordable dans l’écriture que ne l’était le livre I qui était déjà terminé.
Le livre s’intitule : Les Cendres de Quel’Thalas et raconte comment l’Union, un an après la renaissance des Maleterres, répond à l’appel de Quel’Thalas, plongé dans des nuits anormales et assiégé progressivement par le Vide. Entre complots, anciennes rancunes et menaces venues des ombres, ils devront faire face à des épreuves où tout ne survivra pas.
Des morts viendront marquer leur route, mais aussi des révélations capables de changer à jamais la destinée de celle-ci.
Préface au Livre II – Une Aube Nouvelle – Les Cendres de Quel’Thalas
Il y a un an, le nord des Royaumes de l’Est n’était que ruine et silence.
Lordaeron, jadis royaume prospère, gisait brisé sous les cendres du Fléau, ses villages éventrés, ses terres corrompues, ses peuples dispersés.
Parmi les survivants, Thörald, ancien paladin de la Main d’Argent, errait sans but, hanté par les souvenirs de sa femme Serenda et de leur fils Altharion, tous deux emportés par la guerre. Revenu sur les terres de son enfance, à la Croisée de Corin, il ne trouva que poussière et silence. Pourtant, c’est là que germa l’espoir.
Guidé par Maxwell Tyrosus, son ancien mentor, Thörald fit face à ses souvenirs et choisit non plus de survivre, mais de reconstruire.
Il rassembla autour de lui d’anciens habitants, réfugiés, artisans, paysans, tous porteurs d’un même deuil et d’un même espoir. À leurs côtés, il releva pierre après pierre ce hameau oublié, en faisant non seulement un symbole de renaissance, mais le berceau d’une résistance nouvelle.
Au fil des jours, les alliés revinrent.
Alténia, ancienne Porte-cendres et chevalière de sang, descendit de Quel’Thalas pour lui prêter main forte.
Puis vinrent Brunin, Fuot, Gratzilla, Raurky, Taspay, Ryzen, Acredo, chacun porteur d’un passé, d’un peuple, d’une mémoire.
Mais cette reconstruction ne fut jamais seulement matérielle.
À Ael’Lithien, premier grand pas hors des murs de Corin, le groupe affronta pour la première fois le véritable ennemi : le Vide.
Là, dans les profondeurs oubliées de ce sanctuaire elfe, Xandji, ancien frère d’armes, mort-vivant libre, fut submergé. Il tomba non par l’épée, mais happé par les murmures d’une force ancienne, impalpable, absolue. Il ne mourut pas. Il fut dévoyé. Et ce fut là le choc.
Ce fut sa perte, plus encore que la bataille, qui scella la conscience du groupe.
Ce fut à ses funérailles, dans le silence accablé des compagnons, qu’ils comprirent :
Ce qu’ils affrontaient n’était pas un résidu de guerre.
C’était l’éveil d’un Mal nouveau.
De cette prise de conscience naquit l’Union de la Flamme du Renouveau
Non plus un groupe de vétérans, mais une force unie, transraciale, transfrontalière. Une famille de lumière, forgée dans la douleur.
À Zul’Mashar, ils poursuivirent l’enquête. Ce n’était pas un acte central, mais une confirmation. Ils y découvrirent un sanctuaire rongé, un oracle éthérien : émissaire du Vide venu observer, juger, semer l’inquiétude.
Il ne livra pas bataille. Il planta la graine du doute dans chaque esprit. Et il laissa derrière lui un fragment : un cristal du Vide, que Thörald conserva. Intouchable. Incompréhensible. Mais vivant.
Un mystère que nul n’osa briser.
De retour à la Croisée, la reconstruction reprit. Les fermes, les puits, les forges. La vie, lentement, se remit à circuler. L’union devint action.
Et bientôt, la Flamme du Renouveau naquit, mouvement vivant, soutenu par l’Alliance elle-même.
Turalyon, seigneur régent, bénit cette cause et promit des renforts.
Quel’Thalas ouvrit ses portes, par la volonté d’Alténia.
Les Maleterres se changèrent peu à peu en terres fertiles.
Mais sous la surface, le monde retenait son souffle.
Car si la lumière brillait à nouveau, l’ombre, elle, se rassemblait.
Et dans les terres ancestrales elfiques dans les terres du Nord, les premiers signes d’une brèche se faisaient sentir.
Chapitre 1 — Ceux qui vivent encore
Un an avait passé.
Et sous les cendres d’hier, les pierres s’étaient remises à chanter.
La Croisée de Corin, naguère hameau fantôme, était redevenue un carrefour battant. Les rires des enfants avaient remplacé les hurlements des goules. Les étals croulaient de fruits cueillis dans les jeunes vergers, les chevaux portaient l’armure neuve des paladins revenus. On croisait là des hommes, des nains, des sin’dorei et même des kaldorei, œuvrant côte à côte sans prêter attention à ce qui les divisait jadis. La Flamme du Renouveau, discrète au début, était devenue un brasier vivant.
Plus au sud, les ruines de Comté-de-Darrow, enfin déverrouillées des maléfices du passé, accueillaient de nouveau des familles. On vivait dans les caves, sous les arches brisées, à l’abri des vents. Chaque pierre portait la mémoire d’un massacre, mais aucune n’empêchait de reconstruire. Les anciens pleuraient en silence. Les jeunes plantaient des graines.
Plus au nord, Stratholme, ville-martyr, ne brûlait plus. Ses cendres, lavées par des mois de pluies et de prières, nourrissaient la terre. Des herbes douces croissaient entre les pavés noircis. Là où l’on hurlait jadis à la peste, on chantait désormais à voix basse en relevant les murs.
Et dans la pénombre régénérée de Pestebois, sous la vigilance de Fuot et des druides elfes de la nuit, la forêt recommençait à respirer. Les arbres repoussaient, méfiants mais vivants. Les biches s’aventuraient à nouveau jusqu’aux ruisseaux. Les ziggourats du Fléau, rongées par la mousse, furent purgées les unes après les autres. Les sectateurs qui s’y accrochaient encore furent chassés sans pitié.
Le Fléau n’était plus qu’un mot. Un avertissement. Une cicatrice.
À la Chapelle de l’Espoir de Lumière, un matin calme, les cloches sonnèrent l’arrivée d’un convoi.
Trois émissaires elfiques, montés sur des palefrois à l’armure rougeoyantes, pénétrèrent les jardins bénis. Leurs capes rouges portaient l’emblème de Lune-d’Argent, mais leurs regards, eux, étaient graves. Ils ne vinrent ni en ambassade, ni en cérémonie.
Ils vinrent demander audience.
Et ils ne vinrent pas seuls.
Leur requête était claire :
Rencontrer l’Union, ceux qui avaient tenu bon à Ael’Lithien ainsi qu’à Zul’Mashar. C’est ceux qui avaient survécu à la chute de Xandji, leur amis, ceux qui détenaient, peut-être, les réponses aux murmures récents qui montaient en Quel’Thalas.
Car le Vide ne s’était pas tu.
Il attendait.
Et les elfes venaient porter le premier signe.
Le convoi avait été vu depuis les hauteurs de la chapelle. Les paladins de garde n’avaient pas bougé, reconnaissant l’éclat du soleil sur les insignes rouges et or. Lune-d’Argent envoyait rarement ses fils loin de ses murs, et jamais à la légère.
Ils étaient trois.
Trois elfes de sang, montés sur des destriers bardés d’argent ciselé, à l’allure droite et l’esprit en alerte. Leurs tenues, sans être martiales, portaient l’élégance raffinée des maisons anciennes de Quel’Thalas : capes longues, brodées de fil solaire, cuir tanné écarlate et armures légères plaquées d’or pâle. Leurs gants n’étaient pas souillés. Leurs bottes brillaient.
Ils étaient belles figures d’un royaume qui refusait de s’éteindre.
Autour d’eux, dans une garde discrète mais ferme, six chevaliers brise-sort marchaient à pied, visages neutres, visiblement prêts à détourner toute corruption magique. Les lames courtes qu’ils portaient vibraient faiblement, enchantées pour rompre les chaînes les plus occultes. Le message était clair : les temps exigeaient la prudence.
Et dans le chœur silencieux de la chapelle, debout dans la lumière tombant des vitraux, Alténia les observait.
Elle portait une robe de bataille ouvragée, rouge profond, ceinturée de cuir noir, soulignée de plaques dorées effilées comme des lames de lumière. Une armure pour danser, non pour s’abriter.
Sa chevelure noire, tirée en arrière, retombait en cascade sur ses épaules fines. Elle n’était ni fragile, ni distante. Elle était présente, chaque geste pesé, chaque regard offert avec gravité.
Autrefois généralissime d’une armée palatine, désormais flamme vive du Renouveau, elle incarnait à elle seule le lien entre Quel’Thalas et l’Union. Ceux qui la voyaient savaient : la guerre approchait. Et Alténia n’attendait pas qu’elle frappe.
Elle descendit les quelques marches, droite, pour accueillir les visiteurs.
« Sinu a’manore en ces lieux sacrés, messagers de Lune-d’Argent, dit-elle d’une voix claire.
— Que la Lumière vous accompagne dans chaque pas. Parlez : que nous vaut votre venue ? »
Le plus âgé des trois émissaires, aux cheveux blancs tirés en une natte de cour, s’inclina respectueusement.
« Dame Alténia, dit-il.
— Nous venons à la demande du seigneur régent Lor’themar Theron, ainsi que du conseil de Quel’Thalas. Le temps est venu de se parler face à face. »
Il laissa un silence.
« Le Vide… se rassemble. Et nos arcanistes… ont vu ce qui dort sous la forêt. »
Les mots du messager elfique avaient à peine franchi ses lèvres que des pas résonnèrent dans les galeries de pierre. D’abord lents, lourds de sens, puis plus affirmés, coordonnés, comme si chaque membre de l’Union répondait à l’appel du silence.
Le premier à franchir les arches fut Maxwell Tyrosus.
Vieilli, mais toujours droit, l’ancien paladin portait l’armure sans ornement qu’il avait depuis l’Aube d’argent : simple, cabossée, mais bénie mille fois. Son regard d’acier, creusé par les années et les pertes, scruta les elfes comme on jauge des alliés au bord du gouffre.
Il ne dit rien. Il se posta simplement aux côtés d’Alténia, comme il l’avait fait mille fois aux côtés de Thörald.
Puis vint Julia, justicière et protectrice désormais de ce qu’on peut appeler aujourd’hui les bourgs du nord.
A la croisée entre la jeunesse et la vieillese, mais le front chargé d’une sagesse prématurée, elle était vêtue d’un manteau blanc brodé de motifs dorés en spirales, qui semblaient danser à la lumière. Ses yeux brillaient d’une clarté douce, presque protectrice.
Elle inclina la tête sans un mot, joignit les mains, et observa — non les corps, mais les âmes.
Enfin, Aldram apparut.
Haut, martial, le port altier. Le rouge et l’or de la nouvelle Confrérie qu’il avait fondée après la guerre l’habillaient avec noblesse. Sa cape claquait doucement dans la nef.
Son visage, taillé comme un faucon, observait tout avec une vigilance de stratège. Il ne craignait pas la guerre, mais il craignait ce qui ronge dans les silences. Le Vide, il l’avait vu de loin. Et cela lui suffisait.
Les trois figures se joignirent à Alténia, formant un mur vivant, un cercle d’honneur et de veille.
L’un des brise-sort recula d’un pas.
« Nous sommes honorés, dit l’émissaire elfique.
— Et… prêts à parler. Mais il manque encore un nom. »
Alténia hocha doucement la tête. Un léger sourire traversa son visage, teinté de gravité.
« Il vient. »
Elle se tourna vers la nef. Le silence s’épaissit, comme si le monde retenait sa respiration.
« Préparez-vous.
— Thörald entre bientôt. »
L’émissaire aux cheveux d’argent échangea un regard bref avec l’un de ses gardes, puis fixa Alténia.
« Il n’est pas ici, dit-il simplement.
— Est-il tombé ? Blessé ? Ou… refuse-t-il de nous voir ? »
À cette dernière question, ce fut Maxwell qui répondit, d’une voix grave.
« Thörald ne fuit rien. Pas même le Vide.
Mais il cherche. Et sa quête n’est pas de celles qu’on mène en restant immobile. »
Julia prit le relais, sa voix douce, presque méditative :
« Il a quitté Corin il y a des semaines. Pas en secret, mais en silence. Il cherchait des réponses… sur la Lumière elle-même.
Pas une arme. Pas un miracle. Une compréhension. »
« Et où est-il allé ? demanda l’émissaire, intrigué. »
« Il a envoyé une missive à l’Exodar, répondit Aldram, les bras croisés.
— Il espère obtenir audience auprès de Velen. S’il est un être capable de lire les reflets les plus anciens de la Lumière, c’est bien lui. »
« Mais ce n’est pas tout, ajouta Julia. Il a aussi écrit aux Arathis de Sainte-Chute. Ceux qui gardent la Flamme dans les montagnes de Stromgarde depuis tout récemment. Leur lumière est plus brute, plus ancienne, plus tribale peut-être… mais elle brûle différemment. Il veut les comprendre aussi. »
L’émissaire baissa légèrement la tête, comme en méditation.
« Voilà donc ce qu’il est devenu… non seulement un bâtisseur… mais un pèlerin de la Lumière. »
Maxwell eut un bref sourire.
« Il l’a toujours été.
— Mais désormais, il sait qu’il ne suffit pas d’être lumière pour combattre l’ombre.
Il faut comprendre d’où elle vient… et ce qu’elle exige de nous. »
Alténia hocha doucement la tête.
« Dans l’attente de son retour… descendez avec moi. »
Elle se tourna, et les portes de la nef s’ouvrirent sous la pression d’un vent calme. Le marbre ancien, sanctifié mille fois, résonna sous les pas du groupe tandis qu’ils quittaient l’atrium. Les destriers furent confiés sans un mot à un jeune garçon aux cheveux clairs, la tunique nouée d’un fil d’or. Elmir.
L’enfant s’inclina respectueusement devant les montures, puis face aux émissaires.
« Ne craignez rien pour vos compagnons, messires, dit-il d’un ton assuré. Ils sont entre de bonnes mains. »
L’un des brise-sort esquissa un sourire — rare pour un elfe.
Maxwell tapota doucement l’épaule du garçon en passant.
« Tu fais honneur à ton apprentissage, Elmir. Elle serait fière de toi. »
« Elle l’est, répondit le garçon sans hésiter, le menton levé. »
Le groupe pénétra alors dans les couloirs latéraux, guidé par la lumière des torches enchantées qui éclairaient les arches anciennes. Ils descendirent, marche après marche, vers le cœur battant de la chapelle : le sanctum, autrefois mausolée silencieux, aujourd’hui centre nerveux d’un renouveau militaire et spirituel.
Là, les émissaires découvrirent une réalité bien différente de leurs attentes.
Il n’y avait ni psalmodies ni chants, mais des clercs en robe de guerre, penchés sur des cartes détaillées du nord, des paladins en plein entraînement, des guetteurs rédigeant des missives au rythme soutenu. Des piles de rapports, des listes de noms, des messages codés circulaient de table en table. Sur un mur, un croquis récent représentait les frontières mouvantes de la région de Quel’Thalas — et des anomalies magiques détectées en forêt.
Une pièce aux murs de lumière… devenue arsenal vivant contre l’ombre.
Les émissaires échangèrent un regard, à la fois impressionnés et troublés.
Ce n’était plus un sanctuaire.
C’était un bastion.
Alténia se retourna vers eux.
« La Lumière ne se prie plus.
— Elle se porte.
— Et nous la portons, vers là où elle faiblit. »
Chacun d’eux s’installa. Buvant quelques rafraichissements en même temps que leurs yeux contemplèrent les bruits & les murs du mausolée. C’était un silence non seulement de respect, mais aussi de fascination à l’égard du travail accompli.
Le silence fut brièvement rompu par une voix plus jeune, au timbre ferme mais respectueux.
« Dame Alténia… »
Elle se retourna. L’un des brise-sort, casque sous le bras, s’était avancé d’un pas. Il n’avait pas pris part aux échanges jusqu’ici, mais ses yeux ambrés la fixaient avec une émotion à peine voilée.
« Vous ne vous souvenez peut-être pas de moi. Kaelren Sombresile.
— J’étais garde à la Place des Pérégrins, dans les premières années. Vous… passiez souvent, à l’époque. Toujours trop vite pour que l’on ose vous parler. »
Un très léger sourire naquit au coin des lèvres d’Alténia.
« Kaelren.
— Tu avais les cheveux plus courts, à l’époque. Et l’armure trop grande. »
Des rires étouffés s’élevèrent autour d’eux.
Kaelren s’inclina profondément.
« Je suis honoré de vous retrouver. Mais… Doral ana’diel ? »
Alténia le regarda un instant. Son regard, clair et droit, balaya les cartes, les parchemins, les clercs à l’œuvre. Puis elle répondit, sans détour :
« Je suis debout. On va dire que c’est déjà pas mal.
— Le nord respire à nouveau. La Croisée de Corin vit, Comté-de-Darrow renaît, Pestebois se réveille. Nous avons chassé les derniers sectateurs des ziggourats.
— Et ici, à la chapelle… nous avons cessé d’attendre.
— Nous organisons. Nous prévenons. Nous veillons. »
Elle marqua une pause, plus grave :
« Mais je ne vais pas mentir.
— Le Vide n’est pas endormi. Il s’organise aussi.
— Et si vous êtes venus, c’est que notre forêt bien-aimée l’a sentie aussi. »
Kaelren hocha lentement la tête.
« En effet. Nous en parlerons en temps voulu. Les nuits sont anormalement longues de nos jours. »
Aldram croisa les bras et s’approcha du groupe d’un pas lent.
« Vous parlez des arbres, des murmures, des ombres rampantes, dit-il d’un ton grave, presque accusateur.
— C’est bien. Cela veut dire que vous ouvrez enfin les yeux. »
Le brise-sort Kaelren le fixa, mais ne répondit pas.
« Ne prenez pas ça pour une pique, reprit Aldram après une seconde de tension.
— Il y a un an, je vous aurais dit que les elfes de Quel’Thalas n’étaient bons qu’à jouer avec les flammes qu’ils ne comprennent pas.
— Je vous aurais accusés d’avoir creusé votre propre tombe à force de défiance et d’arrogance. »
Il s’interrompit. Son regard balaya les cartes sur la table, puis les visages autour de lui.
« Mais depuis Zul’Mashar, depuis Ael’Lithien, je sais que le Vide ne choisit pas ses cibles selon la race ou la bannière.
— Je vous ai vus combattre. Je vous ai vus saigner. Et je vous ai vus rester. »
Il désigna du doigt une zone sur la carte : le cœur des forêts de Quel’Thalas, la jonction parfaite entre ce qui s’appelait autrefois les terres fantômes : Tranquillien.
« Si vous êtes ici, c’est que votre royaume est inquiet.
— Alors parlez. Où ça saigne, exactement ?
— Et qu’est-ce que nous devons savoir… avant qu’il ne soit trop tard, cette fois ? »
Le brise-sort Kaelren se mura dans le silence, détournant les yeux, comme s’il refusait d’être celui qui prononce les mots. Un autre pas s’avança alors.
L’émissaire principal, celui dont la cape portait le sceau du conseil de Quel’Thalas, inclina respectueusement la tête.
« Ambassadeur Thaerion Solciel, fils d’Altheron, au service du seigneur régent Lor’themar Theron. »
Il se redressa, sa voix claire mais chargée d’une tension froide.
« Ce n’est pas d’un simple trouble que nous venons parler.
— Nos postes d’observation, établis le long des anciennes routes dans le bois des Chants éternels, ont été neutralisés un à un. Sans alarme. Sans bataille.
— Quand nos messagers y sont parvenus… il n’y avait plus personne. Pas de traces de combat. Pas de sang. Pas même un cri entendu par les patrouilles voisines. »
Aldram garda le silence, les mâchoires serrées.
Thaerion poursuivit :
« Et cela ne s’arrête pas là.
— Des disparitions.
— Des enfants. Des mages en plein rituel. Parfois des familles entières, comme… dissoutes dans la nuit. Même les bêtes ont cessé de rôder dans certains bosquets. »
Il marqua une pause. Son regard s’assombrit.
« Et puis il y a les nuits. »
Le sanctum se figea, chacun suspendu à ses paroles.
« Elles ne sont pas… normales. Depuis quelques semaines, elles durent trop longtemps. Le ciel met du temps à changer. L’aurore semble se heurter à quelque chose.
— Les étoiles vacillent. Les lunes brillent par instants d’un éclat… noir-violet, puis tout redevient calme. »
Il prit une inspiration.
« Et le pire… c’est ce que cela fait à nos esprits.
— Nos gardes s’irritent pour rien. Nos mages perdent le fil de leurs incantations. Il y a des cauchemars, récurrents, semblables entre ceux qui ne se connaissent pas.
— Et plus d’un arcane-sang a été retrouvé assommé à sa propre table, en pleine transe, en murmurant un nom que nul ne reconnaît. »
Un silence profond tomba, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.
Alténia fronça les sourcils, et Julia se signa en silence.
Thaerion conclut, plus bas :
« Ce n’est peut-être pas encore une guerre. Mais cela nous fait peur. »
Le silence pesant qui suivit les paroles de l’ambassadeur Thaerion Solciel fut brutalement brisé.
Un vortex arcanique s’ouvrit dans un coin du sanctum, dans un battement de lumière tourbillonnante. Le sol vibra légèrement. Un souffle magique balaya les tables, envoyant des piles de missives et cartes stratégiques voler en tous sens.
« Par la barbe de Muradin, pas encore ! rugit une voix rocailleuse à peine sorti du portail. »
Brunin déboula le premier, le casque de travers, l’haleine fumante de rage contenue.
« J’vous l’avais dit ! Ces trucs-là, ça vous téléporte n’importe où sauf là où on veut aller !
— Par chance, on a esquivé une arrivée dans les latrines ou au sommet d’un sapin cette fois ! »
Gratzilla, large sourire carnassier en coin, le suivait, ses épaulières grinçantes d’électricité.
« Oh ça va ! Au moins on n’a pas fini au Camp Taurajo, cette fois.
— Et puis on était deux à le stabiliser ! Deux ! Tu devrais nous remercier au lieu de brailler comme un kobold sans chandelle. »
« Deux mages, deux ! ajouta Raurky, en ajustant sa robe encore frémissante de l’effort.
— Et t’es quand même arrivé debout, hein ? Pas étalé comme la dernière fois ! »
Brunin se retourna vers elle avec un rictus.
« Je vous signale que c’est VOUS qui avez failli nous envoyer dans une caverne remplie de troggs puants ! Une caverne !
— Et si j’avais pas ajusté ton cadrage en hurlant « PAS LE SUD », on se retrouvait au fond de la mer ! »
« T’as pas crié “pas le sud” ! T’as hurlé “PAR LE C U L DE MA GRAND-MÈRE”, nuance ! siffla Gratzilla.
— Et c’est ça qui a failli nous faire dévier à Sombrivage ! »
Les cris s’étaient entrechoqués dans la nef, rebondissant contre les pierres sacrées… jusqu’à ce que Raurky, d’un coup, ralentisse, levant les yeux.
Elle venait d’apercevoir les éclats rouges et or des tenues sin’dorei.
Les émissaires elfiques les observaient, sidérés, raides comme des piquets, leurs brise-sort figés en posture d’analyse magique.
Un lourd moment de flottement s’installa.
Raurky cligna des yeux.
Puis toussota doucement.
« …Oups. »
Gratzilla, toujours campée sur ses bottes couvertes de suie, observa le silence inhabituel. Puis ses yeux se posèrent sur les armures sin’dorei, les sceaux de Lune-d’Argent, les brise-sort figés… et surtout sur Alténia, qui, bras croisés, les fixait avec ce mélange de patience et de menace lumineuse qui disait : “Tu peux parler… mais choisis bien tes mots.”
Raurky, elle, s’était légèrement reculée, redressant le col de sa robe d’un geste nerveux.
« Attends… ils viennent de Lune-d’Argent, c’est pas vrai ?
— Les capes brodées… les épées sans éclats… l’air noble et constipé… ouais, c’est des officiels. »
Gratzilla plissa les yeux.
« Et si eux sont là… ça veut dire que… »
Elle se retourna brusquement vers le portail encore instable, dont le halo frémissait dans une dernière pulsation.
« Thörald est pas loin. »
Brunin hocha la tête, plus calme.
« Il était avec nous. Enfin, un peu plus loin.
— Il nous a dit d’arriver en premier… comme d’habitude.
— Histoire de voir si le sol était stable ou si on allait exploser en arrivant. »
Raurky fit une moue :
« Ce qui, venant de lui, est une manière polie de dire :
“Allez-y d’abord, je veux voir si ça pète.” »
Les trois se redressèrent, tous d’un coup un peu plus digne, comme si l’importance de la scène leur revenait d’un coup.
Gratzilla regarda vers Alténia, l’air presque désolée.
« …On a un peu foiré l’entrée, hein. »
Alténia ne répondit pas, mais son sourire en coin, très mince, valait tous les pardons.
Le portail vibra une dernière fois, puis cracha une silhouette encapuchonnée, droite, large d’épaules, drapée d’un manteau frappé du sigil doré de la Flamme du Renouveau.
Thörald entra.
Son pas résonna avec une fermeté maîtrisée, comme s’il martelait chaque pierre pour se rappeler qu’il était bien revenu.
Il balaya la pièce du regard… et ses yeux se posèrent aussitôt sur Brunin, Raurky et Gratzilla.
« Vous n’avez aucun contrôle.
— Je vous avais dit d’attendre deux minutes, le temps de sceller ma discussion.
— Le portail allait se refermer, et j’ai dû courir à travers l’Académie pour le traverser, sans même clore mon échange avec Boros, le Redresseur de torts. »
Raurky leva timidement la main, comme une élève fautive.
« C’était… Brunin qui voulait activer l’ancrage tout de suite. »
« Moi ?! Mais c’est vous deux qui l’avez lancé à l’arrache, votre sort bancal ! protesta Brunin. »
Gratzilla voulut enchaîner, mais la voix d’Alténia coupa net le tumulte.
« Assez. »
Elle s’approcha doucement, et sans attendre une parole, elle ouvrit les bras et entoura Thörald d’une étreinte calme et vraie, posant sa joue contre son épaule.
Ce ne fut pas long.
Mais dans ce geste, toutes les nuits d’attente, les cartes étudiées seule, les missives envoyées sans réponse — tout y était.
« Tu nous as manqué. »
Thörald, d’abord raide, se détendit un peu, ses mains effleurant l’épaule d’Alténia, puis se posant brièvement contre son dos.
Il recula légèrement… et vit enfin les émissaires elfiques l’observer en silence.
Alténia se tourna alors vers lui, reprenant un ton plus officiel :
« Seigneur Thörald.
— L’ambassadeur Thaerion Solciel, envoyé du conseil de Quel’Thalas.
— Ils ont une requête… et des ombres à partager. »
L’ambassadeur sin’dorei inclina la tête avec grâce, puis s’avança de quelques pas dans la lumière filtrant du sanctum.
« Seigneur Thörald, dit-il d’une voix posée, claire mais empreinte de l’assurance propre aux diplomates elfiques.
— Je suis Thaerion Solciel, émissaire du conseil de Quel’Thalas, envoyé par volonté du seigneur régent Lor’themar Theron lui-même.
— À mes côtés, Kaelren, brise-sort de la garde intérieure de Lune-d’Argent, que vous avez déjà vu… et Lyaria Aubeclaire, archiviste de la tour du Puits de Soleil. »
Une elfe à la silhouette fine, aux tresses dorées nouées dans le dos, s’inclina avec retenue. Elle ne portait pas d’arme, mais l’intensité de ses yeux témoignait d’un savoir profond — et de nuits agitées.
Thaerion reprit, les mains croisées devant lui :
« Je n’attendais plus que vous. Et maintenant que vous êtes ici… nous pouvons enfin commencer. »
Thörald observa les trois elfes, le visage calme. Il rangea son gant de voyage à sa ceinture, fit un pas en avant et répondit d’un ton franc, sans détour ni froideur :
« C’est toujours un honneur de recevoir des représentants de Lune-d’Argent.
— Une cité que je respecte pour sa résilience, sa beauté… et pour les leçons que même la Lumière met du temps à comprendre. »
Son regard glissa brièvement vers Kaelren, puis Lyaria, puis revint à Thaerion.
« Et je vois que l’accueil fut à la hauteur.
— Alténia ne laisse jamais passer l’occasion d’offrir le thé… ou une garde renforcée. »
Un sourire discret parcourut quelques visages. Julia, en arrière-plan, échappa même un léger rire discret.
Thörald s’installa face aux cartes et aux parchemins. Puis son regard s’assombrit, concentré.
« Parlez, ambassadeur.
— Quel’Thalas appelle. Nous écoutons. »
Chapitre 2 – Les Voix sous les Feuilles
Un silence solennel avait suivi l’invitation de Thörald.
Autour de la table, chaque membre de l’Union s’était figé, le regard rivé aux cartes, aux visages elfiques, ou simplement aux ombres dansantes du sanctuaire. Même Brunin, pourtant peu friand de diplomatie, avait cessé de grogner. Quelque chose, dans la voix de l’émissaire, portait plus que des mots.
Thaerion Solciel se redressa lentement. Il replaça ses gants avec une élégance presque cérémonielle — mais ce n’était pas de la coquetterie. C’était pour se donner contenance, peut-être. Puis il leva les yeux vers Thörald et l’Union.
« Les nuits s’allongent.
— Nous le pensions symbolique. Puis vinrent les ombres. »
Le silence devint pesant.
« Des formes tombent du ciel. Silencieuses.
— Elles ne s’écrasent pas. Elles glissent. Et quand elles atteignent le sol… elles s’agitent.
— Elles cherchent. »
Un frisson parcourut la salle.
« Elles cherchent nos énergies, nos âmes, nos foyers.
— Et quand elles les trouvent… elles les imitent. Les altèrent.
— Certains de nos gardes, d’apparence calme, ont été vus marchant à l’envers dans leur propre reflet, ou parlant sans voix à des interlocuteurs absents. Certains ont même oubliés leurs affectations respectives, du jour au lendemain. »
Gratzilla fronça les sourcils.
Raurky, elle, pâlit imperceptiblement.
Thaerion reprit, sa voix plus basse, plus lourde :
« Dans les Bois des Chants éternels, la faune s’est tue.
— Les lynx mordent sans raison. Les faucons solaires s’éloignent des cimes.
— Les murmures, eux, ne s’arrêtent jamais. Ils ne parlent pas une langue connue… mais ils disent quelque chose. »
Son doigt ganté descendit alors sur la carte étalée, pointant une convergence d’arcanes :
« Les tours d’observation tombent. Une à une.
— Sans conflit apparent. Les gardiens disparaissent. Les enchantements s’effondrent comme rongés de l’intérieur.
— Nos lignes telluriques deviennent instables.
— Les flux se troublent. Les rituels de téléportation dérivent. Les portails sont parasités. »
Puis son regard, clair et dur, croisa celui de Thörald.
« Quelque chose… ou quelqu’un… essaye de s’approcher de Lune-d’Argent.
— Non pas pour l’assiéger.
— Mais pour l’infiltrer.
— Pour la comprendre…
— Et pour la plier. »
Le silence retomba dans la salle, lourd de sens. Les mots de Thaerion planaient encore comme un voile de cendre sur les esprits.
C’est alors qu’Alténia fit un pas vers la carte.
Ses bottes effleurèrent la pierre ancienne du sanctuaire dans un bruissement presque sacré. Elle contempla la zone désignée par Thaerion, là où les lignes telluriques s’entremêlaient comme des veines d’argent blessées.
Puis, lentement, elle prit la parole — non en commun, mais en thalassien, sa langue natale, pure et glaciale comme un fleuve d’hiver :
« Eldorei thalas’nor… An’drath belanor anah’shar. I’valah shindu fallah nah…
(Ce ne sont pas seulement des anomalies. C’est une résonance. Un chant ancien, que nos fondations magiques ne peuvent contenir.) »
Sa voix résonnait avec une maîtrise posée, mais derrière ses mots se dissimulait une tension sourde. Les brise-sort présents échangèrent un regard.
Thörald s’approcha à son tour, posant ses deux paumes à plat sur la carte. Il inclina légèrement la tête vers elle, lui rendant implicitement le respect dû à sa compréhension instinctive des lieux.
« Si les observatoires tombent, c’est qu’ils sont ciblés.
— Mais non par une armée… par une force qui sait où frapper. »
Il se tourna vers Thaerion :
« Quels sont les derniers rapports exacts des tours d’observation ?
— Des relevés ? Des visions ? Des fragments de sortilèges captés avant que le contact ne se rompe ? »
L’archiviste elfe, Lyaria Aubeclaire, s’avança doucement à la suite de Thörald. Elle sortit un parchemin scellé à l’aide d’un fil d’or brisé à la hâte.
« Trois tours ont chuté en sept nuits, dit-elle d’une voix douce mais méthodique.
— À chaque fois, juste avant la perte de contact, les cristaux de scrying enregistrèrent une chute de lumière arcanique suivie d’un… « glissement » du flux.
— Un des mages de guet a eu le temps d’envoyer une note codée :
— « Le ciel me regarde. Il cligne. » »
Un frisson parcourut Maxwell.
« Des nuits conscientes ? murmura-t-il.
— Ou une présence capable d’influencer les perceptions… de plier l’espace, comme à Ael’Lithien. »
Thörald serra la mâchoire.
« Cela ne peut pas être aléatoire. Ces attaques ont un langage, un motif caché. »
Il se tourna vers Alténia.
« Si l’ombre cherche notre reflet… alors peut-être qu’elle cherche aussi une clef. Quelque chose d’enfoui. Une mémoire de Quel’Thalas que même la Lumière du peuple Sin’dorei ne comprend pas encore. »
Alténia acquiesça en silence.
Le silence qui suivit fut rompu par un raclement de chaise.
Julia Céleste, droite comme une lame de guerre, fit un pas en avant, ses mains gantées jointes dans son dos.
« Si les tours tombent une à une, si les lignes sont parasitées, alors il s’agit d’une opération planifiée.
— Une force qui agit sans traces visibles, mais selon une stratégie précise, n’est pas une menace d’ordre mystique : c’est une attaque préparée. »
Elle balaya la salle du regard, son ton aussi froid que lucide.
« Une infiltration subtile peut être plus dangereuse qu’un siège. Je recommande que l’Alliance envoie un contingent, ne serait-ce que pour sécuriser les flux telluriques, assister les guérisseurs locaux, et défendre les postes reculés. »
Thaerion se redressa lentement, son regard s’assombrit.
« Je vous entends, Justicière. Mais ces terres… ne sont pas les vôtres. »
Son ton n’était pas hostile. Il était ferme, rappelant l’équilibre politique instable entre les deux grandes puissances.
« Quel’Thalas appartient aux sin’dorei.
— L’entrée de troupes de l’Alliance, même en soutien, sans l’aval du Conseil, serait perçue comme une intrusion militaire. »
Un murmure de tension traversa la salle.
Thaerion leva une main apaisante.
« En revanche… »
Son regard se tourna vers Thörald, puis vers les membres de l’Union.
« La Flamme du Renouveau… par son statut hybride… par son mandat reconnu à la fois par l’Alliance et la Horde… vous, vous êtes autorisés à agir.
— Vous êtes les seuls à pouvoir mener une enquête dans nos terres, sans enfreindre les accords diplomatiques. »
Il inspira profondément.
« Et c’est précisément pour cela que nous sommes venus vous chercher. »
Thörald garda le silence.
Ses mains étaient toujours posées sur les cartes, mais son esprit, lui, glissait ailleurs.
Loin du sanctuaire.
Loin de Quel’Thalas.
Il entendait à peine les froissements de robes, les soupirs ou les discussions à voix basse.
Son attention était ailleurs. Vers cette chose qu’il portait.
Ce cristal.
Depuis Zul’Mashar, il n’avait jamais réussi à s’en séparer.
Il l’avait enfermé, protégé par trois sceaux de Lumière.
Il ne le regardait plus. Il le ressentait.
Et aujourd’hui, dans les mots de Thaerion, dans les ombres descendues du ciel, dans les murmures des bois sin’dorei, il le sentit :
un lien.
Un fil invisible.
Une résonance.
Ce fragment… vibre avec ce qui approche de Lune-d’Argent.
Et s’il l’y amenait… s’il le laissait se rapprocher de son origine, alors il prendrait le risque de réveiller ce qui sommeille.
Ou pire… de l’appeler.
Il ferma les yeux.
Il repensa aux mots de Boros, le redresseur de tort de l’Exodar.
« Peut-être… que ce cristal n’est pas une arme.
Peut-être que c’est un reflet. Et si tu veux le comprendre, il te faudra une autre Lumière. Une lumière plus ancienne. »
Boros lui avait parlé d’une possible audience avec le Prophète Velen.
D’un sanctuaire cristallin capable de purifier, ou du moins de stabiliser, certaines manifestations du Vide.
Peut-être… changer sa nature.
Il rouvrit les yeux.
Puis parla enfin.
« Je pense… que ce n’est pas moi qui dois aller en Quel’Thalas. Pas tout de suite. »
Tous se tournèrent vers lui.
« Alténia. »
Elle releva les yeux, attentive.
« Tu connais ces terres. Tu y as commandé. Tu y as saigné. Et tu sais quand il faut écouter, plus que parler. Tu es une habitante de Quel’Thalas, tu es plus proche de ton peuple que je ne le serais jamais. »
Il se tourna ensuite vers Gratzilla, Raurky, et Julia.
« Tu prendras Gratzilla, Julia… et Raurky avec toi. »
La gobeline croisa les bras avec un grand sourire. Gratzilla grimaça, mais ne protesta pas.
« Votre mission sera d’enquêter avec les émissaires sin’dorei, mais aussi… de sentir ce que les cartes ne diront pas.
— L’Union ne peut pas encore se disperser complètement, pas alors que le Vide murmure jusque dans nos fondations. »
Il regarda Maxwell et Aldram.
« Je reste. Il y a un autre voie à explorer.
Une quête, plus intime. Plus silencieuse. »
Un soupçon de lumière glissa dans ses yeux.
« Je dois comprendre ce cristal.
Et pour cela…
je dois parler à Velen. »
Un souffle léger parcourut la table. L’ambassadeur Thaerion Solciel resta un instant immobile, presque décontenancé.
Puis il s’inclina très légèrement — un geste maîtrisé, mais tendu.
« Seigneur Thörald… »
Son ton n’était plus seulement diplomatique, il était formel.
« J’entends la prudence. J’admire même la sagesse qui vous pousse à ne pas risquer davantage l’équilibre.
Mais… »
Il redressa la tête, et ses mots devinrent plus incisifs.
« C’est à vous que cette missive fut adressée.
— Vous que le Conseil de Lune-d’Argent souhaite voir.
— Non un délégué, non une émissaire, si brillante soit-elle.
Mais le porteur de la Flamme du Renouveau. »
Un silence glacé tomba sur la pièce.
« Vous êtes, qu’on le veuille ou non, le dirigeant de cette Union.
— Votre absence, à l’heure où nous appelons, serait perçue comme un désaveu.
— Et manquerait de respect non pas à moi… mais à tout un royaume. »
Il marqua une pause.
« Il ne s’agit pas d’une simple enquête.
— Il s’agit d’une invitation solennelle au nom de Quel’Thalas tout entier. »
Thörald leva lentement la tête.
Ses yeux étaient calmes, mais clairs. Il ne parla ni avec orgueil, ni avec défi. Il parla avec cette sincérité lourde qui faisait de lui un chef… sans jamais vouloir l’être.
« L’Union n’est pas un royaume. »
Il se tourna vers Thaerion.
« Elle ne répond ni à une hiérarchie classique, ni à des titres.
Nous avons combattu ensemble. Nous avons pleuré ensemble. Et plus d’une fois… nous avons frôlé l’abîme ensemble. »
Il désigna doucement chacun de ses compagnons du regard.
« Je pourrais confier ma vie à chacun d’eux.
Et je suis certain d’une chose : Alténia prendrait, dans les circonstances présentes, de meilleures décisions que moi. »
Il fit une courte pause.
« Raurky et Gratzilla comprennent les flux arcaniques bien mieux que moi. Leur présence à ses côtés n’est pas un hasard.
Julia, si elle le souhaite, saura être l’œil de la Lumière même en territoire elfe. Son zèle et son sens tactique sera un atout d’un grand intérêt. »
Il posa enfin la main à plat sur la table.
« Je comprends ce que vous dites, Thaerion.
Je mesure le poids diplomatique d’un refus. Mais ce n’est ni un refus, ni une fuite.
C’est un choix réfléchi.
Celui de ne pas aggraver une situation instable en ajoutant un élément incontrôlable : le cristal. »
Il croisa le regard de l’émissaire avec une fermeté paisible.
« Je vous demande, au nom de l’Union, de faire confiance à ceux que j’envoie. »
Thaerion resta silencieux un long moment. Puis il s’inclina légèrement, cette fois sans tension.
« Si tel est votre volonté, et si vous m’assurez qu’Alténia portera votre voix, alors nous l’accepterons. »
Il marqua une pause.
« Mais en échange, le Conseil de Lune-d’Argent et le Seigneur Régent Lor’themar Theron exigeront une lettre ouverte.
— Une déclaration écrite, scellée de votre main, expliquant la délégation de votre autorité pour cette mission. »
Il se redressa.
« Nous respecterons votre décision… tant que vos mots l’accompagnent. »
Thörald acquiesça.
« Vous l’aurez. Avant leur départ. »
Un souffle de tension s’échappa de la salle. L’accord était trouvé. Pas idéal, mais suffisant pour respecter les équilibres.
Thaerion s’inclina respectueusement, puis tendit la main. Thörald la serra sans hésiter, son regard franc croisant celui de l’émissaire sin’dorei. Autour d’eux, les murmures reprirent. Des sourires naquirent sur les visages des compagnons.
Gratzilla tapa dans la paume d’Acredo, déjà en train de faire ses comptes logistiques. Raurky esquissa un salut maladroit à l’un des brise-sort. Julia, droite, nota dans son carnet les coordonnées proposées. Maxwell tapota l’épaule de Thörald sans un mot, puis quitta la salle à pas lents.
Alténia resta un instant près de lui, silencieuse, puis s’éloigna à son tour pour se préparer.
Et peu à peu, le sanctuaire se vida.
La nuit était tombée sur la Chapelle de l’Espoir de Lumière.
Mais les flammes des chandeliers dans le sanctum dansaient toujours, projetant leurs lueurs chaudes sur les murs de pierre et les visages des statues oubliées.
Assis seul à un pupitre de marbre, Thörald écrivait.
« À l’attention du Seigneur Régent Lor’themar Theron, et du Haut-Conseil de Lune-d’Argent… »
Les mots coulaient, sobres et droits. Il n’y avait ni justification, ni excuse. Seulement un exposé clair : sa décision, la confiance absolue qu’il plaçait en Alténia, et le respect qu’il portait à la nation sin’dorei.
La cire de son sceau fondait lentement près de lui, dégageant une odeur d’ambre et d’encens.
Il leva brièvement les yeux.
Au loin, des voix étouffées résonnaient dans les couloirs : Julia instruisait quelques jeunes recrues ; Maxwell lisait un vieux grimoire sur les anciens portails thalassiens ; Brunin râlait parce qu’on l’avait affecté aux vivres.
Tout semblait tranquille. Trop tranquille.
Et pourtant…
Quelque chose venait.
Il regarda sa paume, celle qui avait tenu le cristal.
Il ressentait encore le fourmillement froid dans sa chair, un bourdonnement dans son esprit.
Une connexion.
Un appel lointain.
Mais il tint bon.
Il referma la lettre d’un geste calme, apposa le sceau de la Flamme du Renouveau.
Puis, dans le silence du sanctuaire, il se mit à regarder le cristal, de façon discrète et il espère pouvoir trouver un moyen de l’harmoniser avec la Lumière. La lumière de l’Union. Cette quête ne pouvait plus attendre.
Chapitre 3 — Ce que nous laissons derrière
La nuit c’était déjà bien installée.
Le sanctum, vidé de ses échos, baignait dans une lumière douce, presque irréelle.
Thörald, encore debout près de son pupitre, roulait lentement le parchemin scellé à l’attention de Lor’themar.
Il sentit une présence familière s’approcher, sans bruit.
« Tu fais encore le solitaire. »
La voix était douce, mais ne cachait ni la fatigue ni le reproche.
Alténia , drapée dans sa cape aux broderies argentées, se tenait là, bras croisés, ses yeux sombres cherchant les siens.
« Tu écris des lettres, tu fais des plans dans ton coin… et tu ne me dis pas que tu pars. »
Thörald esquissa un sourire bref.
« Je ne pars pas seul, Alténia.
— Je pars avec Aldram, Acredo, et Brunin ainsi que Maxwell. On ira vers l’Exodar, puis plus loin s’il le faut. »
Il marqua une pause, puis ajouta, le ton plus grave :
« Et je laisse la chapelle entre de bonnes mains. Taspay et Ryzen restent ici. Tu sais aussi bien que moi : niveau défense, il n’y a pas plus solides qu’eux deux. Et puis… pour motiver les troupes, on peut toujours compter sur, bien qu’il ait quelque peu perdu de sa superbe. »
Alténia resta un instant silencieuse. Elle échangea un sourire discret avec Thorald.
Puis elle s’approcha, plus près, comme si elle cherchait encore un mot pour le retenir.
« J’aurais préféré qu’on parte ensemble.
— Je… j’ai vu ce que des forces extérieures peuvent faire à Quel’Thalas, Thörald.
— Tu ne peux pas savoir ce que ça représente pour moi de revenir là-bas, avec l’ombre du Fléau & de la légion encore fraîche, et maintenant… ces murmures, ces choses sans nom… »
Elle détourna brièvement le regard.
« J’ai peur que ce soit à nouveau un théâtre de désolation. Que tout ce que nous avons reconstruit depuis Arthas n’aurait servi à rien. »
Thörald posa la main sur son épaule, avec lenteur.
« Je le sais.
— Et c’est précisément pour ça que j’ai besoin que ce soit toi qui y ailles. »
Le silence revint, chargé.
« Tu n’y vas pas seule. Et je… je te rejoindrai dès que possible.
— Mais ce cristal… ce que je ressens en lui… je ne peux pas l’ignorer. »
Alténia baissa légèrement la tête, songeuse.
« Alors promets-moi une chose. »
« Dis. »
« Reviens. »
Thörald serra doucement son épaule, puis répondit, sans détour :
« Si la Lumière le permet. A demain, tu as une longue route à faire. »
Alténia enlaça une nouvelle fois Thorald.
« Que la lumière te garde, mon ami. A demain. »
À l’aube du lendemain
Les premiers rayons du jour peinaient à percer à travers un ciel laiteux.
Une brume froide s’accrochait aux pierres blanches de la Chapelle.
L’air était étrangement silencieux. Comme si le monde retenait son souffle.
La cour intérieure de la Chapelle de l’Espoir de Lumière bourdonnait doucement d’activité.
Les sabots résonnaient sur la pierre. Des sacs étaient attachés, des armes vérifiées, et des au revoir murmurés entre deux sourires crispés.
Près des écuries, Gratzilla pestait contre les cristaux instables que Raurky essayait encore de recalibrer.
« J’te l’ai dit, les longues nuits parasitent les lignes. Même en l’ajustant sur le méridien thalassien, ça vibre trop !
— Bah fallait les faire hier soir, t’es jamais prévoyante !
— Et toi, t’as dormi ou t’as rêvé d’Aman’Thul, peut-être ?!
Alténia les laissa se chamailler sans intervenir. Un sourire discret glissa sur son visage, vite effacé par la tension du départ. »
Brunin , harnachant un paquetage un peu trop chargé, grogna dans sa barbe :
« Bah, on aurait dû prendre des griffons. Au moins, eux, ils répondent pas aux portails foireux d’elfe… »
Raurky leva un sourcil, faussement outrée :
« Les portails foireux t’auraient évité deux jours de selle, vieux nain ! Mais vas-y, garde tes ampoules et ton rhumatisme. »
Brunin grommela une insulte en khaz’modien et ajusta sa boucle de ceinture.
Un peu plus loin, Acredo calmait doucement son raptor, au pelage noir cerclé de runes dorées. Sa voix résonna lentement :
« La lumière veille sur vous, mes sœurs.
— La jungle enseigne que parfois, faut marcher séparé, pour mieux défendre l’même foyer. »
Thörald inclina la tête, touché. Le troll n’était pas bavard, mais ses mots pesaient.
Puis il s’approcha d’Alténia, ses pas résonnant doucement dans la cour.
« Alors, c’est le grand jour, lança-t-il en posant la main sur l’encolure de son destrier. »
Alténia lui offrit un fin sourire.
Gratzilla s’approcha avec un clin d’œil provocateur :
« Tu vas voir, pendant que toi tu joues au pèlerin mystique, on va sauver un royaume avec trois sorts bancals, deux flèches, et une paladine insomniaque. »
Raurky renchérit :
« J’espère qu’on reviendra avant que ton cristal devienne un œuf… et que quelque chose en sorte. »
Brunin, hilare, ajouta :
« Avec ta chance, ce sera un Marcheur-du-Vide qui réclame ton héritage. Ouuuuh ! »
Un silence. Puis tout le monde éclata de rire.
Mais l’ambiance se tassa quand Alténia s’approcha, lentement, de Thörald.
Elle le regarda, longtemps. Puis ouvrit les bras, sans un mot.
Ils s’enlacèrent.
Une étreinte lourde, ni trop longue, ni trop courte.
Une promesse silencieuse.
Quand elle se recula, elle parla bas, juste pour lui :
« Souviens-toi : on ne combat pas le Vide en se renfermant. »
Thörald hocha la tête.
« Reviens entière, Alténia. C’est tout ce que je demande. »
Un cri de monture coupa le moment. Les sabots piaffaient. Le convoi était prêt.
Un à un, les cavaliers montèrent.
Puis, dans un fracas léger de métal et de cuir, la délégation partit.
D’abord lentement.
Puis s’éloignant, silhouette après silhouette, vers les brumes de l’est.
Thörald ne resta pas seul.
Autour de lui, Brunin, Acredo, Aldram et d’autres membres de l’Union demeuraient encore.
Leurs regards suivaient les silhouettes s’estomper dans la brume.
Pas comme des soldats.
Comme une famille qui se divise, mais ne se brise pas.
Thörald resta immobile, son regard porté loin.
« Il est temps qu’on se prépare aussi, dit-il, plus pour lui-même que pour les autres. »
Aldram ne dit rien, mais échangea un regard avec Maxwell. Tous deux avaient compris. L’instant, l’attente, le choix. Ce n’était pas un voyage de plus. C’était une quête.
Thörald se tourna enfin vers eux, la voix assurée :
« Direction Menethil. Puis Kalimdor. Il est temps de trouver des réponses. Et de percer le mystère du cristal. »
Ils hochèrent la tête, unis, silencieux. Et ensemble, ils se mirent en route.
Chapitre 4 – Les portes de la nuit voilée
Quelques jours de marche s’étaient écoulés depuis leur départ de la Chapelle.
Les Maleterres étaient derrière eux, et avec elles, la lourdeur des souvenirs. La route vers le nord avait été calme, ponctuée de haltes sobres et de silences partagés.
Puis la végétation avait changé. Plus enchanteresse, plus ordonné.
Des murets anciens, des balises gravées de runes thalassiennes, et enfin… la Passe Thalassienne.
Elle surgit à l’horizon comme un vestige vivant d’un âge d’or :
deux piliers dorés en forme d’arcs, des statues sin’dorei aux bras levés vers les cieux, et une barrière enchantée palpitant doucement, tel un cœur magique.
La délégation s’arrêta, en silence.
Mais à peine eurent-ils franchi les premières runes frontalières qu’un frisson collectif les parcourut.
L’air avait changé. L’atmosphère, plus lourde, presque inversée.
La lumière elle-même semblait filtrée, comme si un voile invisible étouffait les rayons du soleil. Il ne faisait pas nuit… mais ce n’était plus vraiment le jour.
« On est en Quel’Thalas, souffla Julia. Et pourtant, j’ai l’impression d’avoir quitté Azeroth. »
Devant eux, plusieurs chevaliers brise-sort s’étaient avancés. Postés à l’entrée de la Passe, ils vérifiaient les identités, les lettres de mission, les permissions.
La bureaucratie elfique, même en temps de crise, restait scrupuleuse.
Alténia présenta les sceaux d’audience, timbrés par la main même de l’ambassadeur Thaerion.
Un des gardes la reconnut d’un discret salut martial. Mais cela n’empêcha pas les formalités.
Pendant ce temps, Raurky et Gratzilla s’étaient éloignées de quelques pas.
« Tu sens ça ? lança Gratzilla, concentrée sur un pendentif de détection. »
« Mmh. L’arcane est déformé. Y’a comme une pression… invisible. Comme si l’énergie magique ici n’était pas alignée avec elle-même. Les fils magiques sont distordues ici. »
Gratzilla marmonna un sort de détection des lignes telluriques.
Raurky ferma les yeux, les bras croisés, et murmura une incantation plus subtile, presque onirique.
« Les flux arcaniques ne sont pas corrompus… mais quelque chose les observe.
— Ou les contraint, répondit Gratzilla. On est surveillées. »
Julia, depuis l’arrière, observait le ciel terne au-dessus de la forêt elfique.
« Une nuit dans le jour, dit-elle enfin. J’ai combattu sous les cieux d’Argus… mais jamais vu de ciel aussi calme… et aussi faux. »
Alténia revint vers le groupe.
« C’est confirmé. On peut avancer jusqu’à la Route du Pèlerin. Nous passerons ensuite une nuit à Tranquillien.
Mais les gardes ont signalé des patrouilles disparues ces deux dernières semaines.
Aucune nouvelle d’un poste avancé vers le Bois des Chants éternels. »
Elle baissa la voix.
« Et l’un des officiers m’a confié que certaines sentinelles parlent dans leur sommeil… c’est étrange. »
Devant eux, Quel’Thalas les attendait.
Pas comme une terre d’accueil.
Mais comme un royaume troublé, scruté, fragilisé.
Soudain, tout s’arrêta.
Un sifflement strident, comme un fil d’acier traversant leurs crânes, vrilla l’air.
Tous portèrent la main à leur tête. Même les plus aguerris chancelaient.
Les gardes elfiques tombèrent à genoux, les yeux écarquillés par une douleur invisible.
Un choc. Comme si la réalité elle-même avait flanché.
Une onde sourde, venue d’en haut, frappa leurs crânes. Tous s’arrêtèrent net, les yeux écarquillés, les membres tremblants.
Une pulsation. Deux. Trois.
Chacun la sentit. Non pas dans ses oreilles… mais dans ses os.
Une vibration sacrée, ancienne, familière : le Chant radieux.
Ce chant… ils l’avaient déjà perçu. Parfois en rêve. Parfois lors de méditations profondes.
Un murmure d’Azeroth elle-même, chantant sous la surface, promesse de rédemption et d’équilibre.
Mais cette fois…
« Il a changé, souffla Raurky. Il… crie. »
Le chant s’était brisé.
Il hurlait, distordu, désaccordé comme un luth frappé par la tempête.
Puis le ciel s’assombrit. Brutalement.
Les arbres perdirent leurs ombres. Le vent s’arrêta. Les oiseaux s’enfuirent dans un silence de mort.
Et dans les cieux, un œil noir s’ouvrit.
Immense. Froid. Inhumain.
Un iris de Vide, cerclé de brume améthyste, flottant au-dessus de Quel’Thalas comme une malédiction cosmique.
Il tournait lentement. Observait. Jugeait.
« Par la Lumière… murmura Julia. Ce n’est pas une vision. »
Des filaments noirs descendirent du ciel, s’enroulant comme des tentacules autour des barrières magiques elfiques.
Les enchantements protecteurs s’illuminèrent violemment, surchargés par l’agression.
Et alors, ils les virent.
Les Marcheurs du Vide.
Silhouettes distordues, sans traits, composées d’ombres mouvantes et d’énergie instable.
Ils ne marchaient pas, ils glissaient. Ils ne parlaient pas, ils vibraient.
Des dizaines.
« À couvert ! cria un brise-sort, juste avant qu’une décharge de Vide pulvérise une baliste. »
Les elfes dégainèrent leurs lames, leurs chants anciens s’élevant pour renforcer les protections.
Alténia leva son espadon lumineux et cria :
« À moi, Sin’dorei ! Défendez la porte ! »
Gratzilla lança un barrage d’orbes pour repousser les premiers intrus.
Raurky tendit la main vers le ciel et appela les vents, mais ceux-ci hésitaient, comme troublés par le Vide.
Julia se plaça entre deux jeunes archers et bénit leurs lames.
« Tenez bon. Pour Quel’Thalas ! »
Le combat avait commencé.
Mais ce n’était pas une bataille ordinaire.
C’était une lutte contre l’invisible, contre le déni, contre l’effondrement du réel.
Les premières vagues d’ombres frappèrent les lignes elfiques comme une marée silencieuse.
Les flèches enchantées sifflèrent. Des sceaux explosèrent en lumière pour repousser l’obscur.
Mais les Marcheurs du Vide glissaient entre les lames, se disloquant pour réapparaître derrière les lignes.
« Ils… ils ne sont pas faits d’ombre ! Ils vibrent à une fréquence ! hurla Raurky, esquivant une frappe spectrale. »
« Alors on va parler leur langue, grinça Gratzilla en traçant des glyphes instables autour d’un Nexus gravitationnel.
Ses mains dansaient. L’air se tordait. Mais ses sorts se fissuraient à mesure qu’ils touchaient ces créatures.
— La magie se désaccorde autour d’eux ! Le Vide perturbe même nos incantations primaires ! »
Non loin, un cri d’agonie.
Trois chevaliers elfiques furent avalés par une onde noire surgie du sol, comme si la terre elle-même avait rejoint le Vide.
Alténia rugit.
Son espadon bénit la lumière, traça un arc doré en fendant l’un des Marcheurs qui tenta de franchir la ligne.
« Tenez la ligne ! Ne laissez aucune forme approcher la faille ! cria-t-elle. »
À ses côtés, Julia faisait pleuvoir les bénédictions.
Sa voix, ferme, militaire, donnait rythme et courage à ceux qui vacillaient.
Son bouclier projeta un halo ardent, stoppant l’avancée d’un Marcheur qui fondait vers un jeune lancier.
« Recule ! cria-t-elle. Ce n’est pas un adversaire que tu peux percer ! »
Mais ce fut Kaelren, le brise-sort au regard d’obsidienne, qui prit le plus grand risque.
Il avança seul, les bras écartés, traçant une spirale runique dans l’air autour d’un des Marcheurs du Vide.
Une prison de lumière pure, une vieille technique sin’dorei pour canaliser les flux élémentaires.
« Ir’thal en’venastra ! cria-t-il. »
L’énergie se referma autour de la créature… un instant.
Puis l’ombre se rétracta, se contorsionna, et hurla sans son, dans une vibration assourdissante.
La cage se fendilla, puis explosa dans une gerbe d’éclats violets.
Kaelren fut projeté à plusieurs mètres. Il se releva, le bras en feu, la mâchoire ensanglantée.
« Je… je l’ai vu, dit-il, tremblant. Il ne venait pas seul.
Il y a… autre chose… au-delà. »
Gratzilla bondit vers lui pour dresser une barrière protectrice.
« Julia ! Alténia ! Il faut une contre-poussée maintenant, ou la brèche va grandir ! »
Alténia hocha la tête. Elle leva les bras, canalisa sa Lumière dansante, douce mais brûlante, et lança :
« À moi, Union ! Qu’elle brûle à travers le néant ! »
Une vague lumineuse explosa depuis son corps, incandescente, repoussant la moitié des assaillants dans un cri cristallin.
Pendant ce temps, Gratzilla et Raurky établirent un nœud d’analyse, leurs sorts entremêlés traquant les résonances de la faille :
« Elle vient pas d’ici, souffla Raurky. Pas du néant distordu non plus. »
« C’est… proche. Mais entre. Un endroit… sans endroit. »
Gratzilla blêmit.
« Le Vide est en train de tordre les racines magiques de Quel’Thalas. Ils testent nos défenses. Ce n’est qu’une ouverture. »
Une accalmie, enfin. Les formes se dissipèrent, l’œil dans le ciel palpitant une dernière fois avant de se refermer.
Lorsque le dernier écho du Vide se dissipa dans l’air brûlé de magie, tous les regards se tournèrent vers Kaelren.
Il gisait à genoux, haletant, la main droite encore parcourue de filaments noirs, comme des restes d’éclairs figés dans sa chair. Son armure de cérémonie était fendue, son front perlé de sueur froide.
« Kaelren ! s’écria Julia en courant vers lui. »
Elle s’agenouilla aussitôt, posant ses paumes bénies sur son épaule blessée.
Une lumière chaude jaillit, stabilisante. Elle murmura des mots de soin, précis, presque militaires.
« Tu vas vivre. Mais tu ne refais plus jamais ça sans nous prévenir, compris ? »
Kaelren eut un sourire crispé, et hocha faiblement la tête.
« Il… Il est encore là, souffla-t-il. »
« Comment ça ? répondit Gratzilla, en regardant autour. »
Puis ils le virent.
À quelques mètres, dissimulé derrière des éclats de pierre levés par la bataille,
un Marcheur du Vide flottait, immobile, enfermé dans une prison arcanique instable, crépitante de runes elfique.
Il tremblait à l’intérieur, sa forme floue tentant de se reconfigurer, de s’échapper… mais sans succès.
« Incroyable…, souffla Raurky. Il a réussi. »
« Kaelren a emprisonné un Marcheur, ajouta Gratzilla, les yeux grands ouverts.
— C’est un… exploit. Même les grands archivistes du Kirin Tor n’y sont jamais parvenus. Du moins, pas comme ceux-là. »
Alténia s’approcha, prudente.
Son espadon levé, mais pas menaçant. Elle observa la créature, ou ce qu’il en restait.
« Il nous regarde. »
Et effectivement, l’entité, même prisonnière, vibrait d’une conscience, d’une intention.
Son « visage » n’existait pas, mais quelque chose derrière ce voile noir les scrutait.
« On va avoir des réponses, dit Julia. Ou au moins… un début. »
Raurky posa les mains sur la cage magique, Gratzilla de l’autre côté.
Ils analysèrent ensemble l’énergie, la structure.
« Cette prison… ne tiendra pas éternellement. On doit la renforcer et la transférer à un endroit plus sûr. »
« On n’a pas ce qu’il faut ici, ajouta Alténia. Il faut avancer jusqu’à Lune-d’Argent. Le Sanctum saura quoi en faire. »
Un silence passa.
Et alors, Julia murmura :
« Peut-être… que cette guerre, on ne va pas juste la subir. »
Peut-être… qu’on va comprendre.
Mais alors que Julia poursuivait ses soins, posant des sceaux de stabilisation sur le bras de Kaelren, quelque chose changea.
Ses pupilles.
Noires. Puis violettes.
Puis multiples.
« Attends… souffla Julia. Qu’est-ce que… »
Kaelren releva brusquement la tête.
Ses yeux n’étaient plus les siens.
Un souffle rauque s’échappa de sa gorge, entrecoupé de murmures dans une langue interdite, gutturale, brisée.
« Kaelren ? murmura Alténia, la main déjà posée sur la garde de son arme. »
Son corps tout entier vibrait. Non pas d’énergie… mais d’intrusion.
« Il… il est encore en moi…, articula-t-il avec une voix dédoublée. »
Puis il se leva d’un bond, plus rapide qu’un elfe ne devrait pouvoir l’être.
Il recula, titubant, puis hurla.
Un cri strident, qui n’avait plus rien d’humain ni d’elfique.
Des tentacules d’ombre surgirent de ses bras, s’agitant autour de lui comme s’il déchirait l’air.
Le sol se fissura à ses pieds. La lumière autour vacilla.
« À couvert ! cria Gratzilla. »
Mais Alténia resta figée. Un pas en avant.
Elle voulait y croire. Qu’il était encore là, quelque part.
« Kaelren ! Tu peux te battre ! Tu n’es pas ça ! »
« Il est… moi… je suis… répondit-il, dans un murmure qui n’était plus une voix. »
Et alors… son regard croisa celui de Julia.
Un regard… implorant.
« Pardonne-moi… »
Elle n’attendit pas qu’il devienne une arme du Vide.
Elle murmura une prière courte, ancienne, une bénédiction de passage.
Puis elle planta sa lame dans son cœur.
Un flash de lumière.
Un silence assourdissant.
Le corps s’effondra lentement. Sans choc. Comme vidé.
Il ne restait que Kaelren.
Et sa silhouette éteinte.
Alténia ferma les yeux. Gratzilla baissa la tête. Raurky recula, bouleversée.
Julia s’agenouilla à nouveau.
Mais cette fois… pour croiser ses doigts et les poser sur le front du défunt.
« Que la lumière te reprenne, Kaelren. Et que ton sacrifice… nous guide. Je suis désolé. »
Alors que le silence régnait encore autour du corps de Kaelren, un craquement sourd retentit.
Tous se retournèrent.
La prison arcanique, affaiblie, pulsa violemment une dernière fois.
Puis, dans un éclatement muet, elle implosa sur elle-même, déversant une onde de choc éthérique qui balaya les feuillages alentours.
Le Marcheur du Vide…
avait explosé à l’intérieur. Ou plutôt, s’était défait de sa structure.
Il ne restait rien d’identifiable.
Rien, sauf un vestige :
un noyau fragmenté, une pierre d’ombre pulsante, presque éteinte, flottant doucement au-dessus du sol calciné.
Gratzilla fut la première à s’approcher, prudemment.
« Ce n’est pas un fragment de chair… C’est un résidu d’essence. Une sorte de… noyau de condensation du Vide. »
Raurky acquiesça, inquiète.
« Même détruits… ils laissent une empreinte. Et ça… c’est étudiable. »
Mais la tension ne baissa pas pour autant.
Alténia, agenouillée auprès de Kaelren, ferma les paupières du défunt avec une lenteur douloureuse.
Elle posa deux doigts sur son front, puis traça dans l’air une rune funéraire sin’dorei, d’un rouge flamboyant.
Elle murmura une prière dans sa langue natale, douce et grave.
« Belore’dal enas. Que le soleil te guide, à jamais. »
Puis elle se releva.
« Qu’on l’enterre. Dignement. Ici. Sous une stèle marquée de la Flamme. »
Julia, muette, s’inclina.
Un cercle se forma autour du corps, et entama des rites pour honorer la mémoire de Kaelren.
Mais le deuil ne put durer.
Gratzilla revint vers le groupe, tenant le noyau dans une sphère de stase.
« Alténia. Ce qu’on a vu ici change tout.
On peut les contenir.
Pas longtemps, pas facilement. Mais c’est possible. Et ça veut dire… »
« …qu’on peut trouver un moyen de les comprendre, compléta Alténia. »
« Ou de les neutraliser avant qu’ils n’agissent, ajouta Julia. »
« Ou de les retenir le temps de fermer leurs portes, souffla Raurky. »
Ils échangèrent un regard lourd.
Le danger était plus proche que jamais.
Mais un espoir venait de naître.
Et parfois, une étincelle suffit à raviver l’aube.
Malgré le deuil, ils reprirent la route.
Kaelren fut enseveli non loin de la Passe Thalassienne, sous une stèle runique, au pied d’un ancien arbre-lige, vestige des premiers jours de Quel’Thalas. Deux archers jurèrent de veiller sur sa mémoire jusqu’à relève. Sa lame, plantée dans le sol, semblait défier les ombres elles-mêmes.
Le chemin vers le nord les mena à travers les Terres Fantômes, autrefois ravagées par le Fléau.
Mais ce qu’ils virent fit naître en eux un mélange d’étonnement et d’espoir :
les forêts mortes reprenaient vie.
Les arbres, bien que tordus, bourgeonnaient à nouveau.
La lumière, bien que voilée, perçait entre les cimes.
Quelques sylvaniens, jadis invisibles, dansaient à la lisière des champs, preuve que les esprits de la nature n’avaient pas totalement fui.
Les anciennes routes, quant à elles, avaient été dégagées et balisées.
Et au centre de ce fragile renouveau se dressait Tranquillien.
La bourgade, autrefois sombre et cernée de malveillance, était méconnaissable.
Les bâtisses avaient été rebâties avec toute la grandeur de l’architecture elfique : des pierres claires et polies, des toitures ornées de motifs solaires, des arches où grimpaient déjà des lierres naissants.
Les lanternes luisaient d’une lumière douce, magique, constante, chassant l’ombre qui avait régné des années durant.
De jeunes enfants couraient entre les stands d’artisans, sous l’œil attentif de sentinelles en armure rouge et or.
Lorsque la délégation arriva, un officier local les salua avec respect.
On leur offrit un repos bref, de l’eau fraîche, et des herbes médicinales.
Mais malgré la quiétude, tout n’était pas pacifié.
— Quelques poches du Fléau subsistent, admit un garde, la voix basse. Au nord, vers la Mer du Voile sanglant. Mais ce n’est plus comme avant.
— Des caveaux refermés… qui se rouvrent parfois. Les Amanis, à l’est, sont également calmes ces jours-ci. C’est… depuis cette nuit étrange.
Raurky nota l’information, tandis que Gratzilla s’isola pour méditer, tenant toujours la sphère de stase en main.
Après une dernière bénédiction d’Alténia adressée aux protecteurs du village, ils reprirent la route vers le nord.
Le voyage depuis Tranquillien jusqu’à Lune-d’Argent fut long, mais profondément marquant.
Les Terres fantômes, qui n’étaient jadis qu’un désert gris et stérile, reprenaient peu à peu des couleurs.
Le bois, autrefois éteint, retrouvait ses enchantements.
Les arbres morts bourgeonnaient de nouveau, portant des feuilles aux reflets dorés et rosés, comme s’ils cherchaient à rattraper les saisons perdues.
Des fleurs étranges, luminescentes, poussaient le long des anciennes routes. Les cours d’eau, jadis noirs et stagnants, recommençaient à refléter le ciel, bien que parfois troublés par des éclats d’ombre fugaces.
À l’horizon, la forêt se drapait d’un voile automnal éclatant, comme une mer de flammes dorées et rouges, ponctuée ici et là de cicatrices sombres : des souches calcinées, des pierres fêlées, des ruines oubliées que même le soleil ne semblait pas réchauffer.
Les chants des oiseaux revenaient par intermittence, portés par le vent, mais toujours entrecoupés de silences lourds, comme si la terre se souvenait encore de son deuil.
La magie ambiante vibrait, fragile, oscillant entre la renaissance et la cicatrice.
Ils traversèrent Tranquillien sans s’y attarder.
La bourgade, autrefois plongée dans l’ombre et la décrépitude, renaissait sous leurs yeux : des façades réparées, des lanternes magiques accrochées aux arches, des enfants courant dans les ruelles pavées. Mais Alténia ne ralentit pas le pas. Elle échangea seulement un signe de tête à l’officier local qui vint les saluer, et le convoi reprit aussitôt la route.
Le chemin s’élargit, bordé de colonnes anciennes où des gravures thalassiennes racontaient l’histoire des Hauts-elfes. Certaines étaient érodées, d’autres restaurées, toutes baignées d’une lumière nouvelle.
Puis, soudain, la route déboucha sur une vue saisissante.
Devant eux s’étendait le pont de l’Elrendar.
Un ouvrage d’une majesté intemporelle, jeté comme une arche de lumière au-dessus de la rivière. Les balustrades blanches, ciselées de filigranes d’or, brillaient sous la clarté du matin. De grands cristaux lumineux flottaient en apesanteur le long des arches, diffusant une lueur chaude qui se reflétait à la surface de l’eau.
En contrebas, l’Elrendar serpentait comme un ruban de verre liquide. Ses eaux limpides captaient chaque éclat, diffractant le soleil en une myriade de couleurs mouvantes, comme si la rivière elle-même chantait une mélodie de lumière.
Mais plus saisissante encore était la transition que ce pont incarnait.
Derrière eux, les Terres fantômes.
Même renaissantes, elles portaient encore les stigmates du Fléau : clairières nues où rien ne poussait, collines grises percées de racines mortes, cicatrices sombres qui s’étiraient comme des veines de charbon dans le paysage. Le vent y était lourd, chargé d’un silence pesant, et chaque bourgeon semblait lutter pour exister.
Devant eux, au-delà de l’eau… le Bois des Chants éternels.
Ce fut comme franchir le seuil d’un autre monde.
Les arbres s’y dressaient hauts et majestueux, couverts de feuilles dorées et pourpres qui vibraient sous la caresse du vent. Les troncs, marbrés de sève luminescente, semblaient vivants, presque conscients, inclinant leurs branches comme pour accueillir les voyageurs. Entre les racines couraient de petites rivières chantantes, et les fleurs, éclatantes de magie, diffusaient une douce phosphorescence, même en plein jour.
L’air lui-même changea.
Il se fit léger, parfumé de résines sucrées et d’herbes en fleurs. Le chant discret d’oiseaux aux plumes écarlates accompagna leurs pas, et au loin, des faucons solaires tournoyaient au-dessus des frondaisons. Une brise fraîche effleura leurs visages, portant avec elle un murmure… presque une voix. Comme si la terre leur souhaitait la bienvenue.
Gratzilla ralentit, les yeux grands ouverts.
— On dirait… qu’on marche dans une peinture.
Raurky, d’ordinaire rationnelle, esquissa un sourire rare.
— C’est plus que de la beauté. C’est un sort. Le bois lui-même est un enchantement.
Alténia resta en retrait un instant, sa main glissant sur la balustrade du pont. Ses yeux noirs brillaient d’une fierté muette.
— Voici Quel’Thalas. Pas une illusion. Pas un rêve. Une promesse tenue malgré les ténèbres.
Ils franchirent le pont.
Et à chaque pas, ils sentaient qu’ils quittaient un monde de deuil pour entrer dans celui de la splendeur éternelle.
Un ouvrage grandiose, bâti d’arches blanches et de pierres gravées, enjambant la rivière qui serpentait en contrebas. L’eau scintillait comme un miroir liquide, captant les reflets dorés des cristaux suspendus aux balustrades.
Ils passèrent d’abord par Brise-Clémente, petit hameau qui bourgeonnait de vies, lové entre les feuillages dorés et les ponts de bois enchanté.
Des elfes y vivaient en paix, rythmant leur quotidien par des rituels solaires, des échanges d’herbes médicinales, et des chants anciens dédiés à la Lumière du soleil.
Les vieilles traces de la malebrèche étaient encore présente, mais la faune et la flore reprirent leurs droits sur ces terres.
Un vieil archonte, en les apercevant, les salua d’un signe gracieux, récitant une strophe de Lorash Chant-du-Vent. Julia s’inclina en silence, touchée par la quiétude presque irréelle du lieu.
Puis ils atteignirent la Place du Point-du-Jour.
Là, le bois devenait autre. Il était enchanteur, on entendrait presque une mélodie au loin se faufiler entre les caresses du vent.
Les troncs s’étiraient vers le ciel comme des piliers vivants, et les feuilles luisaient de teintes rosées, comme si elles absorbaient la lumière elle-même.
Des lucioles d’énergie planaient doucement au-dessus de leurs têtes, murmurant des chants inaudibles à ceux qui savaient écouter.
Gratzilla s’arrêta un moment, les yeux brillants.
« Ce bois chante encore, malgré le vide qui le ronge. »
Mais même dans cette splendeur, quelque chose clochait.
Les ombres ne suivaient pas toujours la lumière.
Un ruisseau reflétait parfois un ciel étoilé… alors qu’il faisait jour.
Et dans les coins les plus reculés, on aurait juré voir des arbres… respirer.
Raurky plaça discrètement une rune d’observation sur un vieux cairn elfe.
« Il y a une force qui résiste ici. Mais elle s’épuise. L’orbe recueilli sur le marcheur résonne de la même manière. »
Le groupe reprit sa route, les sabots foulant des pavés nacrés, les bruits de la forêt mêlant magie et menace, comme si les terres elles-mêmes retenaient leur souffle.
Ils franchirent enfin les Portes du Soleil.
Et devant eux, s’ouvrit Lune-d’Argent.
La cité vermeille, joyau des sin’dorei, se révélait dans toute sa majesté retrouvée.
La partie gauche, jadis brisée par l’assaut du Fléau, ne portait plus les stigmates de la gangrène. Les cristaux corrompus qui s’y dressaient comme des plaies béantes avaient été arrachés, purifiés, remplacés par de grands cristaux de lumière. Alimentés par le Puits de Soleil régénéré, ils diffusaient un éclat chaud et constant, baignant les ruelles d’une lueur protectrice.
Au détour d’une large allée bordée de balustrades, la délégation atteignit la Place de l’Épervier.
Autrefois zone de ruines, ce quartier avait été rebâti avec soin. Les pierres noircies avaient cédé la place à des pavés immaculés, les bâtiments écroulés s’élevaient à nouveau, fiers et gracieux, décorés de vitraux flamboyants. Les toits recouverts de cuivre poli renvoyaient la lumière des cristaux en mille éclats chatoyants.
Le marché, rouvert depuis peu, bruissait de vie :
marchands de fruits aux senteurs épicées, artisans vendant des bijoux sertis de gemmes solaires, familles venues célébrer ce renouveau en flânant au milieu des arches.
Et partout, la vigilance des gardes royaux, leur présence rappelant que cette renaissance n’était pas acquise.
Les arbres aux feuilles dorées s’entremêlaient avec les tours écarlates, comme si la nature avait elle-même participé à la reconstruction. Les chants des enfants et les murmures des prêtres solaires s’unissaient en une symphonie fragile mais tenace.
Alténia posa une main sur son cœur.
— Voilà… ce qu’est Quel’Thalas. Un peuple qui ne s’incline pas.
Mais même sous cette splendeur renaissante, le voile sombre au-dessus des tours demeurait. Comme une menace tapie, prête à étouffer cette lumière nouvelle.
Une auberge au toit rouge et aux vitraux enchâssés de filigranes d’or portait un nom en thalassien ancien :
«Aube des Trois Lames» — une ancienne référence à la résistance sin’dorei contre le Fléau.
L’aubergiste, un elfe discret aux cheveux cendrés, reconnut Alténia et s’inclina bas.
— Chevalière. La maison vous est toujours ouverte.
— Et le vin toujours aussi sec ? répondit-elle avec un demi-sourire.
Ils entrèrent.
À l’intérieur, des braseros magiques diffusaient une lumière chaude. Le plancher craquait doucement sous les bottes.
Des voyageurs, quelques marchands, et deux prêtresses discutaient à voix basse. Mais dès qu’ils virent Julia, Gratzilla et Alténia entrer côte à côte, le silence se fit plus lourd, presque instinctif.
Les regards glissèrent surtout vers Julia.
Une humaine. Une chevalière de l’Alliance.
Certains baissèrent les yeux, par respect ou par crainte, mais d’autres ne purent s’empêcher de la dévisager, leurs prunelles écarlates chargées de méfiance.
Dans cette cité qui avait connu la trahison des royaumes humains et la dépendance forcée à la Horde, sa présence défigurait l’harmonie sin’dorei.
Julia, impassible, s’installa à la grande table sans un mot, déroulant un parchemin où s’alignaient les rapports des lignes d’observation magiques. Elle avait l’habitude de ces regards.
Elle ne les craignait pas — elle les ignorait.
Raurky s’était immédiatement précipitée vers une carte accrochée au mur, suivant des yeux les routes et les bastions notés à l’encre d’argent. Gratzilla, elle, avait choisi la place près d’un vitrage, observant le ciel sombre au-dessus des tours, comme si elle cherchait une faille dans la toile obscure.
Alténia, enfin, retira ses gants avec lenteur, ses gestes trahissant une fatigue qu’elle refusait d’admettre.
Le repos fut bref. Mais il était nécessaire.
Ce fut Thaerion qui rompit la quiétude, ses bottes claquant légèrement sur le parquet alors qu’il s’avançait. Son visage sévère ne laissait place à aucune hésitation.
— Chevalière, nous devons rejoindre la Flèche sans délai. Le Conseil n’attendra pas. Plus nous tardons, plus l’Union paraîtra hésitante aux yeux de mes pairs.
Alténia redressa la tête, ses yeux noirs brillant d’un éclat autoritaire.
— Non. Nous irons quand chacun aura retrouvé ses forces. Une audience se gagne d’abord avec l’esprit clair et les nerfs solides, pas en arrivant épuisés et crispés.
— Vous savez comme moi que les conseillers jugeront d’abord les apparences, reprit Thaerion avec une pointe d’impatience. La moindre faiblesse sera perçue comme une offense.
— Alors ils devront apprendre, répondit Alténia avec fermeté. Nous ne sommes pas ici pour plaire à leur fierté, mais pour protéger Quel’Thalas. Et pour cela, il nous faut être prêts.
Gratzilla esquissa un sourire moqueur.
— Je préfère une Alténia reposée qu’une Alténia qui décapite un conseiller par mauvaise humeur.
Un éclat de rire bref détendit l’air tendu, mais le silence revint vite.
Même ici, dans ce havre fragile au cœur de la cité, chacun sentait que ce répit n’était qu’une façade.