Salut à tous,
J’espère que Soan me pardonnera ce petit clin d’œil au titre du sujet qu’il a lancé hier mais je voulais partager avec vous une impression qui m’a traversé hier à la découverte de la cinématique de l’extension.
Sans être un spécialiste du genre, il me semble que le schéma global qui sous-tend nombre d’œuvres de fantasy (depuis Tolkien en tout cas) est celui de la banalisation du monde, de sa sécularisation, de la disparition du merveilleux au profit d’un monde plus proprement humain.
Cela est particulièrement manifeste dans le lore de Wow, et je pense notamment aux propos de Medhiv qui closent la dernière cinématique de Warcraft III ("… afin d’enseigner au monde qu’il n’a plus besoin de gardien… l’avenir des générations futures a toujours reposé entre des mains humaines…") et à la cinématique finale du raid de l’Âme des Dragons, où les chefs des différents vols, après la défaite du Vol Noir, remettent la destinée du monde entre les mains des races mortelles.
Il y a à l’œuvre, je pense, un ressort plus général des mythes fondateurs qui construisent une cosmogonie pour, en reliant le présent au légendaire, attribuer une place à l’humain dans un monde encore mal connu et, accessoirement, légitimer l’ordre social établi.
Mais sur un plan plus proprement littéraire, ce ressort est aussi une source de plaisir esthétique: il permet de relier le quotidien, dont on constate la banalité et l’absence de sens apparent, au merveilleux, au magique, au sacré.
Le mode de fonctionnement du récit, donc, est souvent le suivant: nous sommes amenés, parfois au terme d’une initiation, à découvrir les soubassements magiques ou merveilleux du monde qui préexistent à notre existence. Ces soubassements sont ensuite ébranlés ou profondément modifiés et ce changement est l’occasion pour l’humain de s’y tailler une place, voire d’assister à leur disparition.
Mais le mouvement inverse, le ré-enchantement du monde en quelque sorte, me semble aller à contre-courant de nos représentations traditionnelles et, peut-être, plus fondamentalement, aller à contre-courant de nos aspirations profondes: en effet, l’histoire de l’humanité (ou plutôt: l’histoire qu’aime à se raconter l’humanité) est celle de son émancipation progressive des forces primordiales qui la protégeaient, la dépassaient voire la régentaient.
Bien sûr, nous rêvons tous également de remonter le temps, de nous plonger dans un monde merveilleux pour connaître à nouveau le frisson de l’inconnu et l’émerveillement devant le magique, mais cette aspiration entre en contradiction avec notre volonté de contrôle de nos existences; je ne suis pas sûr que l’on puisse, même dans le cadre bien déterminé d’un jeu vidéo, acquiescer sans réserve au scénario qui vise à redonner au monde ses gardiens d’avant.
Pour ce qui est du lore, les dirigeants (certes un peu fatigués après les péripéties qu’ils ont traversées) accepteraient-ils de se référer à des instances supérieures qui leur avaient remis leur mandat quelques années auparavant? Et nous, en tant que joueurs - et bien que nous soyons toujours un peu le jeu de puissances qui nous dépassent -, accepterons-nous ce retour en arrière?
Ce point me semble le vrai défi de crédibilité et d’adhésion lancé à la nouvelle extension, plus que la très décriée absence de « grand méchant » (après tout, la cinématique de MoP n’en mettait pas en scène non plus et l’extension a été plutôt populaire). Je ne dis certes pas que ce défi est perdu d’avance, mais j’ai hâte de voir (de loin) par quels procédés il sera relevé.
Suis-je le seul à avoir eu cette impression étrange?