Les gens qui n’ont pas vraiment joué à l’époque voient des éléments de gameplay de Vanilla et se demandent comment on a pu s’amuser comme ça. Ils voient Vanilla avec leurs propres yeux, peut être comme une version inférieure de BFA avec des mécaniques simples, des graphismes dépassés, moins de fonctionnalités et beaucoup moins de contenu. Comment a-t-on pu s’amuser ainsi ? Je prends cette question au sérieux parce que je pense que la réponse n’est pas évidente pour quelqu’un qui a commencé le jeu plus tard. En fait, c’est peut-être même pas évident pour quelqu’un qui a joué à Vanilla : il est bien connu que les joueurs avaient des motivations différentes, et qu’ils ignoraient souvent pourquoi d’autres joueurs se sont amusés. En d’autres termes, le mot “fun” peut signifier beaucoup de choses différentes. Les discussions que nous avons eues à l’époque sur ces forums en témoignent. La question soulevée par l’OP est donc pertinente.
L’aspect social
On peut souvent lire que “l’aspect social de la Vanilla était bien meilleur”. Pourquoi était-ce le cas ?
Tout d’abord, décrivons les éléments de gameplay qui ont fait que les relations sociales ont été monnaie courante à Vanilla.
Le leveling et le farming de la Vanilla ne sont pas très difficiles, mais ils prennent un certain temps. Le monde était dangereux, et ce n’était pas le cas parce que “il y a 15 ans, nous étions des noobs”. C’était le cas parce que les mobs faisaient vraiment mal, le jeu vous faisait vite payer vos erreurs, vous n’aviez pas beaucoup de “panick button” (tous ces CD qui peuvent retourner une situation, vous permettre de survivre ou de fuir). Si vous preniez quelques mauvaises décisions, vous étiez presque certain que vous alliez mourir. De plus, le pvp sauvage était une réalité, du moins sur les serveurs PvP.
Il n’y avait pas de groupage interserveur, pas de phasing ni de monture volante. A BFA, vous n’avez pas besoin d’un groupe pour tuer les mobs, à la fois parce qu’ils sont beaucoup plus faciles et parce que le tag est partagé par toutes les factions. Vos actions ne peuvent pas avoir un impact négatif sur l’expérience des membre de votre faction. Par exemple, il n’y a pas de concurrence pour les mobs ou les objets de quête. Ainsi, dans BFA, tout tend à vous rendre invisible.
Sur Vanilla, le contenu extérieur avec davantage d’intérêt. Par exemple, il fallait voyager à travers le monde sans monture volante pour aller dans un donjon ou un raid. Il n’y avait pas de téléportation. Si vous aviez besoin de compos ou d’or (ce qui faisait une énorme différence pour les raids) vous deviez évoluer dans ce monde commun et partagé.
Dans Vanilla, des régén fréquentes étaient nécessaires parce que le mana était une ressource rare. Mais que pouviez-vous faire pendant ces phases de régén ? Vous pouviez observer les choses, vous pouviez parler…
A première vue, aucun des anciens éléments de gameplay que j’ai décrits ne semble amusant ou meilleur que ceux de BFA. C’est parce que parler de gameplay sans motivation est sans intérêt. Par exemple, le gameplay actuel rapide vous donne l’impression que vos performances en raid sont la conséquence de votre skill, ou que le jeu vous challenge. Mais si vous supprimez ces motivations, vous pouvez aussi bien dire que presser 5 ou 10 touches sur un boss est aussi ennuyeux que d’attendre votre mana. Donc si vous voulez vous moquer de quelque chose, c’est facile : vous supprimez les motivations. "Oh regardez ce type qui spam frostbolt “, " avoir à régén est une perte de temps “, " spammer une rotation c’est un de travail robot”, " tourner autour des piliers n’est pas fun”. Les motivations étant supprimées, il ne reste plus que tu martelage de clavier vide de sens. Les éléments de gameplay de Vanilla que je viens de décrire sont bien plus adaptés à des fins sociales (et immersives) comme nous allons bientôt le voir.
Ainsi, à Vanilla, à cause des éléments de gameplay que j’ai décrits, les joueurs se sont rencontrés et avaient besoin les uns des autres. Dans un tel contexte, tout le monde verra et jugera vos actions, alors que personne ne s’en soucie dans BFA. Ce jugement peut être positif ou négatif, mais ils le partageront avec vous et d’autres personnes. ça s’appelle la réputation et c’est important parce que les humains se soucient de la façon dont ils sont dépeints. La plupart des joueurs aiment avoir une bonne réputation, être considérés comme une personne de valeur, avoir des amis qui se soucient d’eux et inversement à qui ils peuvent faire confiance et s’intéresser. Ces racines sociales se retrouvent à tous les niveaux du jeu dans Vanilla. Voici des exemples :
- Obtenir du stuff en raid était beaucoup plus gratifiant à Vanilla et une des raisons est d’ordre social. Rappelez-vous que dans Vanilla le stuff de raid était beaucoup plus rare et qu’il n’y avait pas de loot individuel. Recevoir un objet BIS était donc une marque de reconnaissance de la part de votre GM et officiers ; et savoir que vous êtes reconnu est en soi une récompense. C’est aussi la raison pour laquelle il y avait tant de drama loot à Vanilla. Généralement, les joueurs se plaignent lorsqu’ils considèrent qu’ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur. C’est aussi une raison pour laquelle certains joueurs préfèrent le loot council au DKP.
- A propos des guildes hardcores. A Vanilla, une guilde de raid nécessitait beaucoup de compétences différentes : des compétences sociales pour rassembler la guilde et résoudre les problèmes, des compétences en organisation, en theorycraft et stratégie (souvenez-vous des forums d’EJ ?), des compétences en farming, en lead… Cela a permis à de nombreux joueurs aux compétences variées de trouver leur place et se sentir utiles ou importants dans une même guilde, et de raider ensemble. Il en résulte un sentiment d’accomplissement collectif une fois que vous avez triomphé, même si les raids ne sont pas aussi overtunned que les raids mythiques actuels. Mais toutes ces exigences ont été considérablement réduites comme si Blizzard avait décrété que tout ça n’était pas fun et décidé de se focaliser uniquement sur les mécaniques des boss, les procs et rotations des joueurs (et je ne dis pas que cet aspect précis n’est pas fun).
- Un bon exemple de ces deux points sont les armes légendaires de Vanilla. Pour en obtenir une, non seulement vous deviez être extrêmement chanceux, mais aussi considéré comme l’un des membres les plus importants de votre guilde. Cela va même plus loin, car la fabrication de cet objet a également nécessité un effort collectif de la part de la guilde. On peut voir comment les choses ont ensuite évoluées : à BC, l’effort collectif n’était plus nécessaire. A WotlK/cata, il vous suffisait d’être un des gros joueurs. A partir de MoP, chacun pouvait avoir son propre légendaire.
- Pour cette raison, l’obtention d’une récompense aussi rare (légendaire ou même item très rare) donnait accès à une certaine reconnaissance sociale. Cela signifie que les joueurs des plus petites guildes pouvaient vous considérer comme un joueur exceptionnel, et en raison des racines sociales du jeu, ils pouvaient même partager leur admiration. D’une manière générale, il est très agréable d’être reconnu pour avoir accompli des actions difficiles ; tout être humain a besoin d’être valorisé. Un peu comme les gens qui aiment afficher leur argent, qui maintiennent leur profil Facebook, leur Twitch ou leurs vidéos Youtube en espérant avoir des “likes” ou des “followers” parce que ça gonfle leur égos. D’ailleurs n’oubliez pas de like ce post.
- L’organisation d’événements pvp a également permis à des joueurs qui n’étaient pas de très bons pvpboyz de trouver leur place. Regardez le tournoi de duel sur la bêta : il n’implique pas seulement les duellistes mais aussi les organisateurs, les tristement célèbres griefers et même ceux qui les tuaient…
- Certains aiment même jouer les méchants, et ce style de jeu a aussi un sens dans le classique car le gameplay leur permet dans une certaine mesure d’emmerder les autres joueurs et de les forcer à réagir. Au contraire, certains aiment aider les autres, ce qui avait du sens parce que l’aide était la plupart du temps aussi bienvenue qu’utile.
- Avoir des communautés qui s’opposent (par exemple pvp vs pve ou RP vs Grosbill) c’est loin d’être un mal en soi. Beaucoup de communautés se définissent par opposition à une autre parce que trouver un ennemi commun est quelque chose qui rapproche les gens au sein d’une même communauté, qui leur donne un objectif collectif, qui leur donne un sentiment de chaleur humaine. En d’autres termes, l’exclusion de groupes contribue à renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté. Essayer d’écarter ces rivalités communautaires est une pure perte. Le fait que les forums soient inondés de messages insultant entre communautés ne signifie pas que le jeu est sur le point de s’effondrer (souvenez-vous des forums à l’époque de Vanilla ou de BC). Ce qui est désastreux pour le jeu, c’est lorsqu’une communauté convient que le jeu n’est plus fait pour elle. Et d’ailleurs les forums wow sont beaucoup plus amusants depuis que Classic a été annoncé, n’est-ce pas ?
- Ne voit-on pas beaucoup de gens dans la vraie vie qui suivent les informations (par exemple) afin d’avoir des sujets de conversation plus que par intérêt réel ? Dans wow il y a des joueurs qui considèrent le jeu comme un support pour leurs relations sociales : se faire des amis, discuter avec eux. Les guildes de vanilla contiennent beaucoup de gens motivés par cela. Cet aspect est-il inexistant dans la BFA ? Bien sûr que non. En fait, à BFA, beaucoup de guildes faisant du normal sont des guildes sociales.
Récapitulons ce que j’ai dit jusqu’ici. J’ai donné un aperçu des relations sociales dans Vanilla. Avant cela, j’ai montré comment certains éléments de gameplay ont permis aux l’interactions sociales de s’épanouir - alors que le gameplay BFA ne le fait pas.
Mais il y a un autre aspect en dehors de ces éléments de gameplay que j’ai déjà mentionnés qui ont encouragé l’interaction sociale dans Vanilla et qui les mine maintenant. C’est le cadre général du jeu.
Vanilla est la seule version wow qui avait des éléments de sandbox. Cela signifie que le jeu donne aux joueurs à la fois des outils et des motivations implicites pour faire des choses, et que c’est à la communauté d’organiser des événements. En conséquence, dans Vanilla, vous pouviez vous connecter et peut-être que vous alliez être entrainé sans crier garde dans un événement communautaire amusant. Certains de ces événements sont encore dans la mémoire des joueurs. Vanilla est un MMO avec quelques éléments sandox tandis que BFA est un pur themepark.
Faisons une petite comparaison. Sur une planète, pour avoir de la vie, certaines conditions sont requises : il faut de l’eau, de l’atmosphère, une température qui ne varie pas trop, etc… Dans un MMORPG, il faut aussi fournir ce cadre flexible. Que pourrait être ce cadre ? Avoir un système de craft permettant aux joueurs de construire des choses qui vont bien au-delà de la nouvelle armure ou arme. Avoir un housing qui s’intègrent vraiment dans le monde du jeu (pas les garnisons). Que le monde entier ne soit pas entièrement rempli de pnj (il devrait y avoir de la place pour les interactions entre joueurs). Le pve devrait avoir un impact sur le pvp et vice versa.
Si vous plantez des graines sur une planète désertique, elles mourront, mais si vous le faites dans le cadre correct, elles fleuriront. Une fois le bon cadre en place, les développeurs devraient planter des graines et laisser les joueurs s’en occuper.
A l’inverse, plus vous ajoutez de fonctionnalités pour contrôler, réguler, guider les activités et les séparer les unes des autres, moins sandbox est le mmo.
Je ne veux pas dire que le sandbox c’est bien et le themepark mauvais, c’est absolument faux. Les fonctionnalités du themepark ont également des avantages. Elles permettent aux joueurs d’identifier facilement et rapidement des activités dont on voit clairement la finalité. A l’inverse un sandbox demande du temps : le temps de comprendre comment fonctionnent les constructions sociales, de s’y intégrer, de gravir quelques échelons. En conséquence, le nouveau joueur peut parfois se sentir perdu dans de tels jeux, ne pas comprendre comment on s’y amuse.
Mon opinion c’est que wow est allé beaucoup trop loin dans la direction du themepark. Même à Vanilla, les raids instanciés et les BG’s sont deux fonctionnalités themepark fortes qui donnaient des objectifs clairs, mais sapent ce que les joueurs auraient pu faire si les raids et le pvp se déroulaient hors instance. BC (avec les arènes, des raids 25m de plus en plus hardcore, la séparation complète entre les arènes, les raids et le reste du monde), a enclanché un mécanisme menant inéluctablement vers de plus en plus d’éléments themepark, menant au final à ce qu’est BFA.
Jetons un coup d’oeil rapide aux features les plus extrêmes qui ont été ajoutées, et qui ont certainement nui aux interactions sociale :
Quelques mois après que Blizzard ait sorti des BG’s interserveur (au patch 1.12, c’est-à-dire le dernier patch Vanilla), les joueurs sont devenus de plus en plus grossiers et désagréables en BG.
La même chose s’est produite lorsque Blizzard a ajouté LFG à la fin de WotLK. Les joueurs ont rapidement cessé d’être aimables et la gestion sociale a été reléguée à des outils comme l’option kick et le loot trading (le Rio est en quelque sorte une continuation de ça). La même histoire s’est répétée avec LFR à la fin de Cata.
On peut expliquer facilement pourquoi le comportement des joueurs a évolué de la sorte : il y a un système automatique qui vous fait jouer avec x autres joueurs que vous ne connaissez pas et que vous ne reverrez jamais.
De plus, le gameplay de BG/instances/raid est 100% axé sur le combat avec peu ou pas de poses : il n’y a donc même pas le temps de socialiser.
Et de toute façon, quoi que vous fassiez le BG/instance/raid se déroulera. Vous risquez de perdre le BG, vous gagnerez juste moins. Les donjons et le LFR sont si faciles que même si vous ne faites rien, vous le finirez de toute façon. Vos actions n’ont aucun impact réel.
D’un point de vue purement individuel, les joueurs sont libres d’aller en LFR et d’être social, mais vous ne le verrez jamais. Pourquoi le feraient-ils ? Les joueurs comprennent que les mécanismes sociaux que j’ai décrits n’ont aucun sens en LFR. Pour cette raison, ils n’essaieront pas d’agir socialement et ils considéreront les autres joueurs comme s’ils étaient des bots. La même chose peut être dite avec le LFG, les BG, le leveling…
C’est pourquoi les roleplayers sont des communautés restreintes sur des serveurs spécifiques qui utilisent généralement des addons spécialement conçus. Cela est nécessaire pour donner un sens à ces comportements. Faire RP sur BFA c’est possible, c’est juste comme aller vivre sur Mars : vous devez apporter votre propre eau, l’atmosphère, etc, parce que très peu est fourni par le jeu à côté d’avoir une riche tradition. Pour être honnête, Vanilla ne fournissait pas vraiment plus pour le RP.
En fait, la seule partie du jeu où il y a de la liberté est la création d’addons. Ironiquement, en raid, pvp etc, ces addons nuisent au gameplay bien plus qu’ils ne l’améliorent. Quand je vois des développeurs qui considèrent que la façon dont les joueurs voient les choses ne fait pas partie intégrante du gameplay, et ne voient pas de problèmes avec le fait que les addons rendent cette partie triviale, ça me sidère vraiment. Mais c’est un autre sujet.