Aux portes de Grim Batol
- Drumsted Rage-acier, du clan Marteau-Hardi. Je viens pratiquer un holocauste. Faisons équipe ?
- Buchette Clamesac, de Forgefer. Je viens dépouiller les cadavres. Ne vous déplaise, je fouillerai aussi le vôtre si vous veniez à périr.
- Charmant, mais conclus.
Les présentations sont laconiques. Le nain a un sourire en coin. Je sens qu’on va s’entendre.
J’étais venue tuer quelques dragonnets cramoisis dans les Paluns. Une rumeur anodine de bestioles peu farouches, que l’on pouvait parfois apprivoiser, puis revendre à prix d’or, m’avait mis la puce à l’oreille. Je voulais tenter ma chance.
Ma méthode, en général, c’est la finesse. Approcher en silence dans le dos de la cible, frapper d’un geste vif pour lui sectionner les nerfs les plus sensibles, ou trancher ses cordes vocales, danser autour de l’adversaire pour esquiver ses tentatives maladroites de riposte, puis assener le coup fatal, avant d’amortir sa chute, pour limiter le bruit. Enfin, lorsque le terrain s’y prête, camoufler le corps sous des broussailles ou dans la bourbe, pour limiter les risques d’alerte.
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À l’entrée des portes des Gueules-de-dragon, un remue-ménage criard perturbe ma chasse. Un tourbillon de cuir et d’acier fonce d’un draconide au suivant. Deux pieds de barbe pour 4 pieds sous le menton, presque aussi large que haut, les muscles saillants, les phalanges crispées sur une gigantesque hache à deux tranchants, qui vole allègrement à va et à vient, à travers les écailles des wyrms pourtant solidement protégées, le guerrier semble emporté par une frénésie confinant à la folie.
C’en est fini de ma tranquillité.
Je passe d’un monticule de dragons décapités au suivant, récoltant quelques piécettes que le combattant n’a pas l’air de considérer avec intérêt. J’arrive au dernier tas, et patiente tranquillement qu’il termine sa dernière proie. Je projette une dague de lancer sur la victime, par pure courtoisie, juste avant que le nain ne lui fasse rendre le dernier soupir.
La tornade de guerre se retourne tranquillement, sans inquiétude, ni signe de fatigue apparent. Des anneaux de bronze cliquètent dans ses cheveux tressés. Une chemise verte et orange, tâchée de sang, s’enfile dans un rutilant pantalon de maille finement ajusté à sa corpulence. On reconnaît un vétéran au premier coup d’œil.
Après quelques mots, je laisse le porteur de hache prendre l’initiative. Il se débrouillerait très bien sans moi. Je soupçonne qu’il voulait juste un peu de compagnie. Ça m’arrange : il n’a pas l’air de porter la moindre attention du monde au butin.
Grimpant progressivement le sentier menant à Grim Batol, franchissant successivement les quatre portails brisés, nous nous désaltérons à l’occasion de quelques pauses courtes, mais régulières. Sa langue finit par se délier un peu.
Ancien enrôlé de l’Alliance, il était factionnaire à Dun Modr lorsque la Horde a déboulé dans les Paluns, durant la Deuxième Guerre. Sa brigade a été repoussée au-delà du viaduc de Thandol. Nombre des siens y sont restés, pour ralentir la progression des orcs. Lui, a eu peur de mourir. Il avait une famille. Aujourd’hui, il regrette d’avoir survécu. Comment pouvait-il savoir que les dragons rouges, asservis par l’ennemi, contribueraient à la chute fatale de Grim Batol ?
Forgefer avait tenu bon. Pas la cité des Marteaux-Hardis. Tous avaient été massacrés. Civils comme militaires. Il n’a jamais su comment avaient péri sa femme et ses deux filles.
Depuis lors, tous les deux ans, il quitte le refuge des Hinterlands pour une expédition vengeresse sur les traces de ses amours perdues.
Les rares Plaiedécailles rouges, livrés à eux-mêmes et déboussolés, ne font pas long feu sous nos coups. Mais le temps passe vite, et nous arrivons au sommet, à l’approche du crépuscule.
https://drive.google.com/open?id=1t1fmgx_x_51kwmPN3RP1-8QJI2j9Yj-_
Si tous les autres nains semblent avoir abandonné l’espoir de reprendre la ville souterraine, Drumsted, lui, refuse de se faire une raison. Mais, à chaque voyage solitaire, comme aujourd’hui, il atteint les portes, que nous ne parvenons pas à forcer. Un silence de mort règne ici.
À quand cela remonte-t-il ? Dix ans ? Quinze ans ? J’ai l’impression, tout comme lui, que c’était seulement hier. Pourtant, la nature a repris ses droits. L’herbe a repoussé, dans la plaine autrefois brûlée par le feu des dragons. Peu ou pas de vestiges des combats féroces qui se sont déroulés ici. Il pourrait aussi bien ne s’être jamais rien passé.
Peut-être, en creusant un peu, pourrait-on mettre la main sur les arceaux rouillés d’un tonneau de poudre, ou quelques ossements noircis de ceux qui ont défendu l’endroit en pure perte ?
https://drive.google.com/open?id=1vbwBE92hN6W3GO6LOnHA9fUZWdArRNv6
Avant de nous quitter, Drumsted me fait une curieuse proposition : « Si vous passez par les Hinterlands, mademoiselle Buchette, n’hésitez pas à faire halte au Nid-de-l’Aigle. La table y est bien garnie, et une dague bien maniée et un esprit vif seront toujours recrutés avec plaisir. »
Les nains des collines n’ont rien perdu de leur sens de l’honneur. Mais il leur reste encore bien des terres à reconquérir.
Je n’ai pas prévu de détour par le nord prochainement. Mais peut-être, un jour, qui sait…
Ou, comme dirait l’autre, de manière bien plus directe : le < Clan Wildhammer > recrute !