Après la nouvelle qui est tombée hier soir, j’ai pris le temps de regarder beaucoup de débats sur cette question des serveurs multilingues. Je propose donc de faire un résumé, je l’espère objectif, de la situation. Je vous le dis sans détour, je ne suis pas favorable à ces serveurs, et je vais donc vous expliquer pourquoi en répondant aux arguments qui ont été avancés par leurs défenseurs.
Le premier argument prend la forme d’un jugement de valeur déguisé. On peut en effet voir ces serveurs comme une opportunité de nouer des liens avec d’autres personnes provenant de pays différents. Fondamentalement, cette idée pose comme hypothèse que la langue n’est pas une barrière à l’échange, et/ou que tous les joueurs européens sont capables de communiquer dans un anglais correct. Les plus remontés peuvent alors dire « vous n’avez qu’à savoir parler anglais ! » .
Cette hypothèse semble alors particulièrement optimisme. Tout le monde ne parle pas un anglais permettant de soutenir une discussion « casual ». Je n’ai malheureusement pas de statistiques exactes sur la question, mais une rapide recherche google permet de prendre la mesure des lacunes des français lorsqu’ils se confrontent à cet exercice.
Afin de continuer j’ai besoin moi aussi de formuler une hypothèse. WoW vanilla a été demandé par la communauté des joueurs afin de renouer avec les origines de ce MMORPG, mais surtout, avec un certain aspect social du jeu : la communauté et tous les échanges qu’elle impliquait à cette époque au sein d’un serveur (bien entendu, je peux me tromper, mais cela ne me semble pas franchement déraisonnable). Ceci étant posé, poursuivons.
Tous ces joueurs français qui ne maitrisent pas la langue de … disons Docteur Who, se retrouvent par conséquent exclus d’une partie considérable de ce que le jeu a à offrir. Le fait qu’ils « auraient du » apprendre l’anglais ne nous intéresse pas ici, nous devons nous baser sur la situation telle qu’elle est actuellement, pas sur ce quelle aurait pu être « si ». Ces joueurs, loin d’être une minorité, seront donc significativement restreins dans leurs possibilités d’interaction avec « la communauté du serveur » au sens large. Soit quantitativement pour les moins anglophones qui ne pourront même pas entamer une conversation. Soit, a minima , qualitativement, puisque rares sont les personnes maitrisant l’anglais au point de ne pas se sentir limités dans une discussion (le fameux « Ah mais j’aimerais bien aller plus loin et parler de XXX mais … ça va être compliqué à expliquer » .
Mais cela aura aussi des impacts plus palpables dans le jeu lui-même. Comment, en étant bloqué par la langue (totalement ou partiellement), expliquer à un raid composé de multiples nationalités la stratégie à appliquer ? Il s’agit d’organiser la cohésion de 40 joueurs au sein d’une même équipe, imaginez le temps nécessaire pour y parvenir si en plus les joueurs ne parlent pas la même langue. A une échelle plus petite. Comment, dans l’urgence du combat, je vais réussir à demander au druide espagnol de m’inverv, moi le chaman français ? Je pourrais m’en sortir certes, mais cela prendra plus de temps, ce sera moins agréable, fluide, et la petite blague que je voulais faire en plus de ma demande risque fort de faire un four. Finalement, si je n’ai pas la flemme, je me contenterais d’un « Inverv me pls » qui ne débouchera après le combat que sur une conversation convenue de remerciement, sans suite possible ( « Viens avec nous sur MB ou TS qu’on rigole … ah mais en fait ca va être difficile … » ). Alors oui, certains ne seront pas limités, noueront des liens d’amitié avec des anglophones, mais ca ne sera que marginal. La plupart, j’imagine, préfèreront communiquer en toute facilité avec des joueurs qui parlent la même langue.
Il est possible de rajouter à cela les références culturelles propres à chaque pays/région, qui concourent elles aussi au développement d’une bonne ambiance et d’une communauté soudée (autant que faire se peut). Pour en donner un exemple typique à nos contrés : « Bon, on fait un SLOUBI en attendant les TP du démo ? » ou encore « Le heal, ON EN A GROS ! ».
Tout ceci va donc obligatoirement amoindrir les relations sociales au sein du serveur, ou, a minima , les rendre moins joviales, plus focalisées sur des éléments propres au jeu. Or c’est aussi ça une communauté, des interactions en rapport avec le jeu qui débouchent, petit à petit et par moment, sur des échanges ne se limitant plus au contenu de WoW. Vous pourrez alors rétorquer que « vous », ça ne vous dérange pas, au contraire vous avez plein de bon potes anglais, espagnols, italiens, allemands, ou que sais-je encore, cela permet de s’ouvrir à d’autres horizons, de voir de nouvelles manières de jouer. C’est recevable, mais gardez en tête que, comme on l’a vu au-dessus, vous faites partie d’une minorité de personnes ayant les capacités linguistiques (et peut être aussi l’envie) pour nouer ce genre de relation. Pour ce qui est des façons différentes de jouer, soyons sérieux, les joueurs cherchent, autant que faire se peut, à optimiser leur gameplay. Cette situation idéale vers laquelle ils tendent est par nature, identique pour tout le monde ! On va voir les mêmes builds, on connait plus ou moins les mêmes streamers, et il n’y a pas 36 manières de DPS correctement avec un mage, ou de tanker avec un guerrier. Je ne nie pas l’existence de gameplay alternatifs portés par certains joueurs, mais ce genre de cas particuliers ne dépendent pas du pays d’origine de la personne. Ils seront observables aussi bien sur des serveurs nationaux que sur des serveurs européens.
À ce stade, je pense que ce que je viens d’expliquer est difficilement contestable. La barrière de la langue implique forcément une baisse des interactions entre joueurs, que ce soit par leur quantité ou leur qualité. Chacun sera plus ou moins touché par ce phénomène en fonction de son niveau d’anglais, mais d’une manière générale, cela pénalisera l’aspect communautaire du jeu tant recherché.
On nous répondra alors que des sous-communautés émergeront des serveurs et regrouperont les joueurs en fonction de leur langue ou pays d’origine. C’est en effet une conséquence hautement probable de l’intégration de ce genre de serveur en même temps qu’une confirmation du constat que nous avons fait plus haut. Les joueurs ayant des difficultés à communiquer avec leurs semblables d’autres nationalités, ils vont nécessairement chercher à se réunir, entre francophones par exemple, afin de contourner ce problème. On verra alors se développer, comme sur les Pserveurs, des guildes de français, d’anglais, d’allemands, d’espagnols, etc. En d’autres termes, le serveur se communautarisera. De cette façon, plutôt que d’être incité à échanger avec tout un serveur (dans le cas où il s’agirait d’un serveur FR), on sera incité à échanger avec telle ou telle guilde, par solution de facilité. Ceci nous faisans alors revenir à l’organisation sociale qui règne depuis quelques années sur WoW retail, on communique avec sa guilde, et c’est presque tout (en forçant les traits bien entendu). On passe ainsi d’un cercle social limité au potentiel d’un serveur complet, à un autre qui se restreint à certaines guildes ou certains groupes de joueurs. Alors oui, il sera toujours possible de communiquer avec des anglophones ne faisant pas partie de sa guilde française. Mais ces comportements seront largement minoritaires. Il est déjà « difficile » lorsque que l’on est implanté dans une communauté restreinte de s’ouvrir à d’autres joueurs, alors en plus si cette ouverture impose des difficultés supplémentaires qui viennent limiter les échanges possibles, à quoi bon ? (« Mouais je vais plutôt retourner sur MB avec mes potes FR pour qu’on parle de la sortie du film Kaamelott la semaine prochaine ! On pourra rigoler, avoir une conversation fluide, rapide, avec des blagues à droite à gauche, et des références particulières. Même que je vais peut-être pouvoir rencontrer XXX qui vie par loin de chez moi et qui, lui aussi, comme tout homme de goût, adore Kaamelott » )
De plus, en acceptant cette idée de communautarisation, à quoi bon faire des serveurs EU si c’est pour que les joueurs, frustrés de ne pas avoir de serveurs nationaux, tentent d’en reconstituer par leurs propres moyens via le système de guilde, de reddit, de forum, etc. Ne serait-il pas plus logique de directement proposer des serveurs unilingues ? Si mais dans ce cas, qu’en est-il des joueurs souhaitant une ouverture culturelle ? Et bien ils ont tout le loisir de se rendre sur des serveurs d’autres nationalités, comme ils l’ont toujours fait auparavant. C’est justement pour eux l’occasion de reroll dans une ambiance et une culture différente sur un serveur qui ne sera pas un meli-melo de toutes ces spécificités nationales. L’unique moyen de baigner à travers le jeu dans une culture qui n’est pas la sienne est donc justement de voir émerger des serveurs nationaux dans lesquels chaque culture ne sera pas diluée parmi tant d’autres.
Vient enfin l’argument qui, à mon sens, est peut-être le plus pertinent bien que probablement fautif, celui de la viabilité à long terme des serveurs nationaux. On entend en effet que, pour le cas de serveurs français par exemple, le nombre de joueurs ne sera pas suffisant pour faire tourner correctement le serveur. Reprenons alors depuis le début, les serveurs vanilla à l’époque étaient peuplés en moyenne de 2500 à 3000 joueurs. Au-delà de ce volume et compte tenu des temps de repop, cela provoquait des problèmes de congestion sur de nombreux aspects du jeu. Il faudrait alors, pour qu’un serveur français tourne correctement, au minimum 2500 joueurs. Disons, pour que tout le monde soit content, qu’il faudrait donc à long terme entre 5000 et 6000 joueurs francophones pour faire tourner deux serveurs dans des conditions optimales (un pvp, et un pve).
Je suis par exemple membre d’un groupe facebook consacré à WoW classic pour les français et belges. Il existe bien entendu de nombreux groupes de ce type, mais, dans celui auquel j’appartiens, qui est donc loin de regrouper la communauté francophone dans son intégralité, nous sommes déjà 1350. C’est-à-dire que, si tous les membres jouent effectivement à WoW classic, ce que tout laisse penser, nous remplirons à nous seuls la moitié d’un serveur. Alors même que nous ne sommes qu’un groupe parmi tant d’autres. Rajoutant à cela que le nombre de joueurs français potentiel est bien plus élevé que le nombre de membres appartenant à des groupes Facebook consacrés au sujet. Je ne fais pas de mon cas une généralité, mais rien qu’autour de moi, mes camarades de jeu depuis BC sont au nombre de 4. Tous sont très hypés par WoW Classic, nous avons déjà un programme, une compo particulière etc. Pourtant je suis le seul à être inscrit sur un groupe Facebook de ce genre. Cette situation, si elle ne permet pas d’en déduire que le nombre de joueurs sera forcément 4 fois plus important que le nombre de membres inscrits sur des groupes consacrés à WoW Classic, nous montre malgré tout que ces joueurs seront plus nombreux que les estimations basées sur les seuls membres de ces groupes.
Reprenons, je fais parti d’un seul et unique groupe parmi une floppée d’autres existant sur le net. Nous sommes donc 1350 membres sur ce groupe et ne représentons qu’une petite partie du total des membres cumulés de tous les groupes Facebook français consacrés à WoW Classic. Et, en plus, il existe de nombreux futurs joueurs qui ne sont pas inscrits sur ce genre de communauté. Je n’ai bien entendu aucune idée des ordres de grandeurs applicables à chacun de ces effets. Mais, sur la seule base de ces 1350 membres d’un petit groupe perdu, seul dans l’internet, nous sommes déjà capables de remplir un demi serveur.
Je ne peux pas avoir de certitude, personne d’ailleurs ne le peut puisque qu’il n’y a pas de statistiques officielles, mais ne pensez-vous pas que deux serveurs comptabilisant en tout entre 5000 et 6000 joueurs restent dans l’ordre de l’imaginable, voir du très probable ? Puisqu’il n’est pas possible d’avoir une opinion basée sur des faits, il convient d’évaluer la probabilité attribuée à chaque scénario. Or, j’estime que la probabilité de réunir au moins 5000 joueurs français est plus importante que celle de n’en réunir que … je ne sais pas, disons 2000 (compte tenu de ce que j’ai pu développer plus haut). Mais je vous accorde volontiers que tout ceci est plutôt fragile et qu’il ne s’agit en aucun cas d’une démonstration rigoureuse ! Aucun chiffre ne permet d’avoir une certitude, on peut tout au plus approximer le nombre minimum de joueur sans trop d’incertitude en se basant sur la population de certains Pserveurs, mais c’est tout. Viendront s’ajouter à ce minimum les joueurs n’ayant jamais voulu rejoindre un Pserveur pour des questions de moralité, de confort, de stabilité à long terme, etc, etc. (ces chiffres sont malheureusement inconnus et en dehors de toute approximation).
Donc, dans le doute, pourquoi ne pas proposer une solution plus harmonieuse avec les points qu’on a pu soulever ? Pourquoi ne pas proposer dès la sortie des serveurs nationaux qui, si un manque de joueurs devait se faire sentir, seraient fusionnés en serveurs européens ? Ceci est d’autant plus triste que de nombreux serveurs sur retails sont totalement vides et demeurent malgré tout en place. Nous ne demandons pas 50 serveurs différents, juste 2 ou 3 par langue. Une solution toute simple et peu coûteuse serait de simplement ajouter comme suffixe après le nom du serveur la langue dominante attendue. Par exemple : Illidan - FR ; Arthas - EN, etc.
Il semble en tout cas que cette recommandation suive l’avis de la communauté des joueurs intéressés par WoW Classic. Certes, les personnes ont bien plus tendance à se manifester contre quelque chose que pour quelque chose, mais la vague de contestation que connaissent actuellement les forums n’est pas sans signification. Pour l’exemple et en reprenant l’exemple du groupe Facebook auquel j’appartiens, les réponses à la question « Par rapport aux serveurs EU vous êtes : » sont :
Contre : 66%
Indifférents : 16%
Pour : 16%
Certes ce n’est pas une randomisation parfaite (quoi que pas si mal compte tenu de l’ouverture du groupe), la question n’est sans doute pas bien posée, l’indifférence devrait être expliquée. Mais force est de constater que les avis contre sont majoritaires, malgré les quelques points de pourcentage que l’on pourrait éventuellement retirer ou ajouter si la méthode de quantification était plus rigoureuse.
Pour le reste, ne perdons pas espoir, peut être que blizzard fera marche arrière. Nous ne sommes pas OOM, et tant qu’il y a du mana, il y a de l’espoir !